Quelques semaines ont suffi pour que le Covid-19 provoque l'effondrement de l’économie mondiale, poussant les gouvernements à prendre des mesures extraordinaires de soutien aux entreprises en difficulté. S’il serait prématuré de dresser dès à présent un bilan complet de la crise, des premiers enseignements peuvent néanmoins être tirés. Cette crise révèle les fragilités de notre monde, soumis à des risques globaux et croissants, qu’il s’agisse de pandémies ou d’événements liés à la destruction des écosystèmes et au dérèglement climatique. Elle met également en évidence les fragilités économiques, sociales, et politiques, d’un monde basé sur une production intensive, un consumérisme et une mobilité excessifs. Une chose est certaine : comprendre ces fragilités est essentiel pour faire de l’après-crise un vrai moment de bascule vers un monde plus durable, juste et résilient.
Maladies émergentes et changements planétaires : quelques réflexions
Télécharger la note (format pdf - 460 Ko)1. Les atteintes que nous portons à l'environnement accentuent la propagation d'épidémies
Le Covid-19 se révèle êre le symptôme d’une biodiversité maltraitée
Comme le la plupart des épidémies de l’histoire de l’humanité et trois quarts des maladies émergentes, le Covid-19 est une zoonose, c’est-à-dire une maladie liée à des transmissions par des animaux domestiques ou sauvages. En 2016, le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) soulignait que « les zoonoses (...) se développent lorsque l'environnement change ».
Le déclin de la biodiversité ou le changement d’usage des sols sont en effet des facteurs d’émergence de nouvelles maladies. L’urbanisation, la déforestation, l’intensification des pratiques agricoles qui participent à l’effondrement de la biodiversité, nous mettent au contact de bactéries et de virus d’origines animales contre lesquels nous ne sommes pas immunisés. Si le nombre de personnes touchées par une maladie infectieuse diminue depuis le début du XXe siècle, le nombre d’épidémies a été multiplié par plus de 10 entre 1940 et aujourd’hui.
Par exemple, la déforestation contraint les chauves-souris à aller se percher sur les arbres des plantations ou des jardins, se rapprochant ainsi des humains. Deux espèces qui n’étaient pas censées être en contact direct, se retrouvent donc à vivre côte à côte et le risque de transmission de maladies augmente.
Plus l'air que nous respirons est pollué, plus nous sommes fragilisés face au Covid-19
La pollution de l’air est, selon l’ONU, le plus grand risque environnemental pour la santé humaine, causant plusieurs millions de décès par an dans le monde. Trafic routier, épandages d’engrais et de pesticides, installations industrielles, chauffage… Les causes et les actions possibles pour réduire l’impact sont identifiées. Mais la volonté politique demeure trop faible. En France, on estime à environ 48 000 le nombre de morts par an liés à la pollution de l’air. Et aujourd’hui, la pollution de l’air, serait un facteur d’aggravation de la mortalité dûe au COVID-19, car elle fragilise notre santé.
2. La crise sanitaire est un appel à anticiper les crises à venir, notamment la crise climatique
Les effets positifs de la crise sur l’environnement ne sont que provisoires
Pour le climat et la qualité de l’air, le confinement marque une amélioration évidente : les concentrations de dioxyde d'azote (NO2), émis principalement par les voitures diesel et essence, ont chuté de 54% à Paris et d'environ 45% à Madrid, Milan et Rome pendant le confinement (Agence spatiale européenne). En France, les émissions de GES ont baissé de 30% pendant le confinement (Haut Conseil pour le climat). La réduction des émissions du transport compte pour 60% de la réduction totale.
Mais ne nous leurrons pas : ces effets positifs ne répondent pas aux enjeux de la transition écologique, qui appelle à des réponses structurantes, choisies, assumées et non imposées. Ils ne sont en effet que provisoires. La probabilité d’un effet rebond reste forte. D’ailleurs en Chine, les émissions sont de retour à la normale depuis le déconfinement acté fin mars. Les comportements d’achats “compensatoires”, les activités et les déplacements accrus pour “rattraper” le retard etc., contribueront à faire remonter les niveaux de pollution de l’air et les émissions de GES dans les prochains mois. L’enjeu sera donc moins de parer aux effets rebonds du déconfinement que de garantir, en sortie de crise, une véritable prise en compte du défi climatique dans la relance économique.
La lutte contre le dérèglement climatique ne doit pas passer au second plan
La crise du coronavirus n’a pas affaibli la prise de conscience des défis écologiques, bien au contraire, comme en témoignent les sondages récents (Odoxa - 14 avril et Obsoco 15 avril). A l’heure actuelle, pourtant, la capacité du Gouvernement et de l’Union européenne à maintenir et renforcer leur ambition en matière écologique ne s’est pas traduite concrètement. Les premières aides apportées par la France au secteur aérien ou automobile par exemple, n’ont fixé aucune contrepartie environnementale claire. En parallèle, les appels à mettre en veille les normes environnementales, en particulier de la part des acteurs de l’industrie, se sont multipliés depuis le début de cette crise, même si ces velléités ne reposent sur aucun argument en termes d’emplois. Le risque de voir se répéter les erreurs de 2008 est donc grand.
3. Les limites de la globalisation se confirment et les économies locales s'adaptent
La globalisation marchande fragilise les sociétés
L’intensité du trafic international et une globalisation à flux tendus ont, sans aucun doute, une grande responsabilité dans la propagation de l’épidémie. Depuis des années, les chaînes de productions s'accroissent de plus en plus et avec elles la dépendance entre les différentes économies mondiales. Ainsi, la crise sanitaire a causé des difficultés d'approvisionnement, même pour des filières stratégiques voire vitales comme les médicaments, l’alimentation ou le matériel sanitaire. Cette dépendance met en péril les sociétés et limite fortement la capacité d’intervention des États, alors que ce sont les seuls à pouvoir piloter une réponse coordonnée au niveau national et international à un tel choc.
Les modèles économiques diversifiés, autonomes et locaux sont plus résilients
La situation du secteur agricole et alimentaire en est une illustration parfaite : les exploitations les plus dépendantes à la main d’oeuvre saisonnière étrangère et précaire se sont révélées les plus fragiles, alors que les modèles les plus autonomes, indépendants du rythme des flux mondiaux et de la concurrence généralisée sont les plus résilients. Côté distribution, les AMAP, magasins de producteurs et ventes directes, résistent grâce aux liens qui unissent paysans et consommateurs et ont vu leur fréquentation exploser.
• Abandonner le libre-échange et la globalisation marchande sans pour autant fermer les frontières.
• Renforcer les échanges internationaux en matière de recherche, santé publique, et écologie, pour mieux limiter voire abandonner les échanges qui ne visent que la rentabilité à court terme.
• Réhabiliter la stratégie industrielle nationale et européenne, à la lumière des défis de ce siècle : anticipation des risques, décarbonation de l’économie, responsabilité sociale.
4. Les inégalités sociales se creusent et annoncent une crise sociale majeure
Parmi les premiers de cordées, beaucoup d’invisibles
Face à l’épidémie, de nombreux corps de métiers sont mobilisés : santé, logistique, énergie, agriculture et alimentation... Mais également caissiers, vendeurs, transporteurs, aides à domicile, éboueurs, etc. Ils l’ont été pour assurer la sécurité de tous et les moyens de subsistance de l’économie, et permettre de vivre le plus “normalement” possible, non sans prendre de risques pour eux-mêmes. Parmi ces travailleurs mobilisés se trouvent nombre de métiers invisibles, assurant un rôle vital pour la société, et pourtant au bas de l’échelle des rémunérations.
Des conditions de vie inégales
Par ailleurs, après seulement quelques semaines de confinement, les inégalités de conditions de vie, liées au logement notamment et aux conditions de télétravail, sont d’autant plus visibles. Ces inégalités sociales seraient corrélées au lieu de vie et à leur densité (5 millions de Français vivent dans des logements surpeuplés). Aussi, la précarité alimentaire progresse fortement, en lien avec la fermeture des cantines qui fournissaient en temps normal les repas équilibrés au quotidien et pour un prix accessible.
Une crise sociale majeure s’annonce
En imposant des règles de confinement à près de la moitié de la population mondiale, la pandémie du Covid-19 a provoqué un arrêt en chaîne de nombreux circuits économiques : trafic aérien, industries, hôtellerie-restauration, vente en gros et au détail, activités immobilières et monde des affaires... Non sans impact. D’ores et déjà, à l’échelle mondiale, 3,3 milliards de personnes, plus de quatre personnes sur cinq (81%) sont affectés par la fermeture partielle ou totale de leur lieu de travail. En France, plus de 8 millions de salariés sont inscrits au chômage partiel.
Cette crise, les situations de cessation de paiement, et les faillites déjà engagées, préfigurent une période de récession profonde, qui se traduira par une concurrence accrue entre acteurs économiques, et pour les ménages, par des difficultés liées à l’emploi et une forte baisse du pouvoir d’achat. Et pour les collectivités territoriales, une forte baisse du budget. Autant de signes qui annoncent une sortie de crise compliquée et, sans mesures post-crise adéquates, une crise sociale sans précédent.
5. Les institutions françaises, européennes et internationales ont la capacité d'agir, lorsqu'elles en ont la volonté
L’État confirme sa capacité d’intervention sur l’économie et rompt (momentanément) avec l’austérité
Pour faire face à la crise, le gouvernement a pris des mesures inédites marquant une rupture profonde avec la politique de rigueur, voire d’austérité, menée depuis de nombreuses années.
Cette rupture s’est d’abord matérialisée par l’arrêt brutal imposé à l’activité économique alors que tout fonctionnait comme si cela était impossible. Cette capacité de l’État à intervenir concrètement, pour orienter l’économie constitue un fait majeur. Elle confirme l'État dans son rôle, et en fait un acteur de premier plan face aux défis de ce siècle, au premier rang desquels figurent la lutte contre le changement climatique et la protection de la biodiversité.
La seconde rupture a trait au vote d’un budget de 110 milliards d’euros, (chômage partiel, aides aux entreprises, aides sociales…) pour soutenir l’économie, doublant ainsi la dette française. Non seulement cette mesure était essentielle pour éviter le naufrage pendant la crise, mais la logique de relance par l’investissement devra prévaloir post-crise, afin d’orienter l’économie dans la voie de la décarbonation et de la justice sociale. Dans cette optique, il est tout autant essentiel que les aides d’urgence accordées soient soumises à des conditionnalités sociales et environnementales.
La politique du court-termisme est pointée du doigt
Les politiques publiques d’austérité, qui privilégient la rentabilité à court terme et dénoncées en particulier par le secteur hospitalier depuis plusieurs années, sont définitivement mises en accusation par cette crise sanitaire : absence de masques, de tests de dépistage, de respirateurs… sans oublier que la logique de rentabilité a progressivement dévalorisé les métiers essentiels, vitaux pour la société. La qualité du service public, l’anticipation des risques sur le long terme, et l’exigence de solidarité ne sont plus négociables à l’issue de cette crise majeure.
Une Europe dispersée
Pour faire face au choc économique, l’Union européenne a permis aux États membres d’engager toutes les dépenses pour faire face à la crise, en activant la clause de circonstances exceptionnelles qui permet de déroger aux limites sur les déficits publics. Mais l’Europe n’a pas eu de stratégie commune face à l’épidémie. Le désaccord profond sur la proposition de Corona Bonds portée par l’Italie, la France, ou l’Espagne, et rejetée par les pays du Nord, en a été un exemple frappant. L’impact économique de la crise sanitaire diffère d’un pays à l’autre. A l’intérieur même de chaque pays la relance économique va se heurter à la perte globale de revenus, alors que la concurrence entre les régimes fiscaux au sein de l’Union européenne et avec les pays tiers, limite la capacité d’agir. Il faut ainsi craindre que la « sortie de crise » soit aussi marquée par des tensions importantes au sein de l’Union.
La crise lance un défi à la gouvernance internationale
L’épidémie de coronavirus pose un défi majeur à la communauté internationale, qui ne pourra contrer ce virus sans une action coordonnée. Pourtant, les institutions internationales actuelles, créées après la Seconde Guerre mondiale pour protéger les populations, ont fait état depuis le début de cette crise de leurs lacunes et insuffisances. Pour préserver les biens communs, que ce soit la santé ou l’environnement, dans un monde globalisé, il est temps de renforcer la gouvernance internationale. Mais en l’état, les relations internationales, en particulier du fait de la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis, n’offrent pour le moment aucune perspective de voir ces institutions se réformer. L’Europe a sans aucun doute un rôle majeur à jouer dans ce contexte. La France peut agir en ce sens au sein de l’UE.
En temps de crise, les collectivités territoriales ont un rôle essentiel
Le rôle des élus locaux a été décisif depuis le début de cette crise : de par leur actions d’information auprès des publics, de prévention sanitaire, d’accueil des plus démunis, mais également par la mise en place de plateformes d’approvisionnement en produits agricoles locaux, le soutien aux secteurs économiques à l’arrêt, etc.
Les États ne peuvent plus se contenter de gérer les dysfonctionnements mondiaux, mais doivent assumer leur rôle pour orienter les économies sur le long terme et protéger les populations et l’environnement. Le rôle des agences telles que les Organisations mondiales de la santé, du travail le GIEC, ou l’IPBES (experts biodiversité) devra être renforcés dans leur légitimité et moyens d’action.
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