Alors que le gouvernement présentera fin mars sa stratégie pour à favoriser l'économie circulaire, autrement dit sortir du réflexe " produire, consommer, jeter ", Dominique Bourg et Sophie Swaton, membres du conseil scientifique de la Fondation contribuent à la réflexion. Parmi les mesures qu'ils proposent : une TVA circulaire. Leur objectif : réduire la TVA sur les produits les plus durables pour les rendre accessibles au plus grand nombre et ainsi démocratiser ces pratiques. Aujourd'hui exception, elles doivent demain devenir la norme.
Tribune publiée sur le site des ECHOS le 21 février
Par Dominique Bourg (Président du Conseil scientifique de la FNH/Université de Lausanne), Romain Ferrari (Fondation 2019) et Sophie Swaton (Conseil scientifique de la FNH/économiste Université de Lausanne).
Nous ne sommes pas tous égaux face aux déchets qui envahissent et empoisonnent nos sols et nos océans. En fermant au début de l'année ses frontières aux déchets étrangers, la Chine a dit qu'elle ne voulait plus être la poubelle des anciens pays industriels. Des dizaines d'autres pays, dont les plages sont envahies de sac plastiques ou de déchets informatiques, pourraient en faire autant. En France le parcours des déchets en dit également long. L'emplacement des déchèteries et des incinérateurs suit le prix au mètre carré. Bien souvent, ce sont les quartiers populaires ou les zones péri-urbaines qui subissent le traitement des déchets des centre-ville et des chantiers de BTP. L'économie du 20ème siècle, celle où la modernité consistait à produire - consommer - jeter toujours plus et plus vite, n'est écologiquement plus soutenable, socialement plus supportable, et économiquement vouée à disparaitre sous le poids d'une aspiration à d'autres modes de vie.
En rassemblant les industriels, les collectivités et les ONG autour de la rédaction d'une feuille de route pour l'économie circulaire, le gouvernement français affirme son ambition d'aller vers un modèle de production et de consommation fondamentalement nouveau, moins consommateur de ressources et faisant du réemploi et du recyclage la norme. La pré-feuille de route soumise à discussion depuis le 6 février identifie une multitude d'actions possibles. Parmi elles, nous ne pouvons que saluer une mesure que nous défendions depuis des mois : la possibilité de rendre obligatoire l'utilisation croissante de matières recyclées ou facilement recyclables dans les produits et emballages. Tout comme nous saluons les pistes de travail en matière d'information du public sur la réparabilité et l'accès aux pièces détachées. Il s'agirait là, si le gouvernement va jusqu'au bout, de moyens efficaces de lutte contre l'obsolescence programmée. Enfin, la volonté de multiplier par 4 le nombre de foyers soumis à la taxation incitative sur les ordures ménagères, très efficace là où elle est mise en place, doit être également soulignée.
Mais force est de constater qu'en l'état, la pré-feuille de route gouvernementale passe à côté d'une discussion essentielle. Informer, réglementer, interdire sont des leviers nécessaires, mais encore faut-il que la demande pour cette nouvelle façon de consommer suive, qu'un marché pour le recyclable et le durable puisse se développer. Or, les inégalités de revenus sont un frein majeur auquel il faut répondre. Il est en effet moins cher d'acheter une casserole faite de matériaux extraits à grands frais environnementaux du sol, que son équivalent produit à partir de matériaux recyclés. Acheter durable reste trop souvent un luxe. Pour une raison simple : le prix de dégâts causés par la production de produits jetables, à courte durée de vie, épuisant les ressources, ne " pèse " pas sur la facture. C'est la collectivité dans son ensemble qui paie la note, notamment celles de l'impact du réchauffement climatique et des atteintes à la santé publique.
De l'autre côté, les bénéfices que procurent à la collectivité ces produits réemployés, réparables, composés de matériaux recyclés et non toxiques, ou biosourcés, ne sont pas non plus pris en compte sur la facture que paie le consommateur. C'est le sens de notre proposition pour une TVA Circulaire. L'idée est simple. Pour ces produits offrant des avantages environnementaux majeurs, nous proposons que le taux de TVA soit significativement baissé, en une ou plusieurs fois. La poêle en matière recyclée couterait ainsi moins cher que son équivalent plus polluant. En créant ainsi un marché pour le produit durable, nous permettons à tous les consommateurs, quel que soit leur niveau de revenu, d'accompagner cette nécessaire évolution de notre consommation.
Cette mesure d'ampleur a la capacité de démultiplier l'impact des mesures aujourd'hui envisagées en faisant sortir l'économie circulaire et durable de la marginalité économique. La TVA circulaire doit donc retrouver sa place dans la feuille de route et le futur Plan pluriannuel pour l'économie circulaire. Nous entendons venir les juristes du ministère des finances nous dire que la TVA est une affaire européenne. Nous leur répondrons que la réforme portée en ce moment même par la Commission européenne lève la difficulté.
Nous discernons également les regards sceptiques des gardiens de l'équilibre budgétaire pour qui les bénéfices à moyen terme que représente une telle mesure ne comptent pas. L'ADEME et la Fondation 2019, en partenariat avec plusieurs industriels ont lancé un travail de Proof of Concept. D'ici à septembre, il devrait être possible d'évaluer et de donner un prix à l'impact positif d'une production circulaire et d'en tirer des propositions de modulation de la TVA sur une première série de produits. Produits qui pourraient faire l'objet d'une première étape expérimentale de TVA circulaire.
Le gouvernement français a lancé un chantier majeur. Entre les effets de communication et une politique de transformation, il y a un long chemin à parcourir. L'adoption d'un projet fiscal fédérateur, qui ne laisse pas les inégalités sociales miner la transition écologique, en est une étape absolument fondamentale. Les effets de la pollution pèsent sur les plus pauvres, lesquels sont en outre exclus du marché du durable parce que les coûts de la pollution ne sont pas imputés aux produits qui en sont les plus responsables. Une TVA circulaire contribuerait à corriger ce double état de faits, inéquitable.
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