Deux études scientifiques majeures ont établi la cancérogénicité du glyphosate pour la santé humaine en février et mars 2019. Face à cette urgence sanitaire, comment répond le gouvernement français ? Peut-être en saurons-nous davantage le 10 avril. Le bilan des actions menées depuis juin 2018 pour sortir du glyphosate sera enfin présenté à l’occasion de la réunion du Comité d’Orientation Stratégique Ecophyto. Ce point d’étape est demandé par la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme (FNH) depuis des mois afin de rendre transparentes les activités de la « Task Force glyphosate », comité créé en juin 2018 par le gouvernement, pour faire oublier son refus d’inscrire la sortie du glyphosate dans une loi. Espérons que découleront de ce bilan des décisions fortes et claires, en conformité avec les engagements du président de la République – l’interdiction du glyphosate d’ici novembre 2020 – et qu’un encadrement législatif sera proposé en ce sens dans les prochaines semaines.
Le glyphosate est dangereux pour la santé humaine
Ce début d’année 2019 aura décidemment été difficile pour la multinationale Bayer-Monsanto. Pas une semaine sans qu’une nouvelle étude scientifique, une décision judiciaire ou une initiative de la société civile ne braquent les projecteurs sur les effets néfastes du glyphosate. La bourse elle-même a fini par prendre acte de ce faisceau d’informations et semble avoir rendu son verdict : l’action de Bayer est à son plus bas niveau depuis 2012, conduisant même Le Monde à titrer : « Le rachat de Monsanto vire au cauchemar ».
Plusieurs travaux scientifiques publiées en ce début d’année sont venus conforter la thèse des opposants à l’utilisation du glyphosate et de ses produits dérivés : le glyphosate est bien dangereux pour la santé humaine. La nouveauté de ces études : elles tiennent compte d’une période d’observation assez longue pour donner le temps à une éventuelle maladie de se déclarer :
- L’étude la plus décisive est sans doute la méta-analyse1 publiée en février 2019 dans la revue Mutation Research2. Elle s’appuie notamment sur cinq études de cas-témoins3 et surtout sur l’importante cohorte4 professionnelle américaine5. Une exposition au glyphosate peut-elle provoquer un cancer ? Les scientifiques ont comparé les groupes d’individus les plus fortement et les plus longuement exposés (agriculteurs et/ou ouvriers agricoles) aux groupes d’individus non exposés ou très faiblement exposés, en retenant une période de latence suffisamment élevée : entre 15 et 20 ans6 ! Les conclusions sont sans appel : les individus les plus exposés aux produits à base de glyphosate ont un risque de développer un cancer de la lymphe significativement plus élevé que les individus non exposés. Et ce n’est pas tant le chiffre de l’augmentation du risque de cancer de 41% qu’il convient de retenir que l’établissement scientifique d’un lien de causalité entre l’exposition aux produits à base de glyphosate et le déclenchement d’un cancer de la lymphe.
- Une autre étude, publiée en mars 2019 dans l’International Journal of Epidemiology7, est venue corroborer les conclusions précédentes. Il s’agit d’une analyse groupée de trois grosses études de cohorte menées sur plus de 11 ans en France, en Norvège et aux États-Unis auprès de plus de 300 000 agriculteurs et agricultrices. Même lien établi : l’exposition au glyphosate est associée à une augmentation du risque de 36% à l’un des types de cancer de la lymphe agressif.
- Enfin, un autre problème préoccupe désormais les chercheurs depuis la publication le 12 mars 2019 dans la revue Environmental Health d’une étude pilote8 évaluant les effets de produits à base de glyphosate sur le développement et le système hormonal endocrinien du rat. L’exposition au produit de la période prénatale à la naissance est associée à des perturbations du système endocrinien (apparition retardée des premières chaleurs et augmentation de la testostérone chez les femelles, augmentation de la concentration d’hormone thyroïdienne chez les mâles) et de certains autres indicateurs du développement de l’appareil reproducteur. Les précautions prises par les chercheurs de l’Institut Ramazzini (niveau d’exposition modéré9; exposition au glyphosate pur ou à une formulation commerciale à base de glyphosate, le Roundup Bioflow) rendent les conclusions robustes et permettent déjà de s’interroger sur d’éventuels effets du glyphosate comme perturbateur endocrinien sur l’être humain.
La justice américaine reconnaît la dangerosité du produit
Sur le front judiciaire, le premier trimestre 2019 a vu Bayer-Monsanto être condamné pour la première fois par un tribunal fédéral américain. Il doit dédommager – à hauteur de 80,30 millions de dollars – Edwin Hardeman, un retraité malade d’un lymphome non hodgkinien, qui a utilisé le désherbant Roundup pendant plus de 25 ans sur sa propriété.
Même si Bayer-Monsanto s’en défend, ce jugement devrait faire jurisprudence, avec toutes les conséquences que cela représente pour une firme qui doit potentiellement faire face à près de 11 200 cas similaires dans les seuls États-Unis.
La dangerosité du glyphosate est donc établie sur le plan scientifique et la responsabilité de Bayer-Monsanto reconnue pleinement sur le plan judiciaire.
Qu’attendre du gouvernement aujourd’hui ?
Face à cette actualité brûlante et à une opinion publique déjà fortement mobilisée contre le glyphosate, que font les autorités politiques française ? Compliqué à dire, entre déclarations symboliques sans effet et hésitations législatives, la situation ne semble pas sortir de l’opacité.
Après le scandale sanitaire du chlordécone dans les années 80 et 90, dont les Antilles payent encore le prix aujourd’hui, les autorités françaises d’aujourd’hui semblent reproduire la même erreur au risque de devoir rendre compte dans quelques années d’un nouveau scandale sanitaire dû cette fois au glyphosate.
Rappelons que le chlordécone, insecticide organochloré utilisé dans les bananeraies, a été utilisé en France de 1972 à 1993. Suite aux graves problèmes sanitaires et environnementaux posés par son utilisation, le chlordécone est interdit en 1976 aux USA, l’Institut National du Cancer américain puis le CIRC ayant conclu sans appel sur ses effets cancérigènes. Les gouvernements français successifs, ignorant ces conclusions univoques, continueront à autoriser l’utilisation du chlordécone jusqu’en… 1990 en métropole et jusqu’en 1993 en dérogation aux Antilles, pour y satisfaire les gros producteurs de banane.
Le 10 avril, se tient le Comité d’Orientation Stratégique Ecophyto, dans le cadre duquel seront présenter les actions menées par la task force créée par le gouvernement pour sortir du glyphosate. Afin de répondre aux nouvelles conclusions scientifiques et judiciaires, il est crucial que dans les prochaines semaines des décisions fortes et claires soient énoncées par le gouvernement, en conformité avec les engagements du président de la République : l’inscription de l’interdiction du glyphosate d’ici novembre 2020 dans une loi.
La position de la FNH sur le glyphosate :
- un budget précis pour l’accompagnement des agriculteurs et des agricultrices et pour la recherche fondamentale et appliquée
- le contrôle des produits importés traités au glyphosate
- un calendrier clair d’interdiction de la molécule pour éviter de nouveaux cancers
Sources
(1) Pour l’INSERM, « La méta-analyse consiste à synthétiser les résultats de plusieurs études sur un sujet donné pour obtenir une estimation plus précise et fiable de l’effet du facteur considéré sur le risque de maladie. Elle s’avère particulièrement utile pour des maladies ou des facteurs d’exposition rares pour lesquelles chaque étude individuelle risque d’être peu informative. »
(2) « Exposure to glyphosate-based herbicides and risk for non-hodgkin lymphome : a meta-analysis and supporting evidence » Zhang et al in Mutation Research, dont le rédacteur en chef est un scientifique de l’Agence de Protection de l’Environnement américaine EPA
(3) D’après l’INSERM, « Une étude de cas-témoins consiste à recruter d’une part des personnes présentant la pathologie d’intérêt et d’autre part un groupe de personnes comparables ne présentant pas cette pathologie. » Dans ce cas, l’exposition au glyphosate – via l’application de produits herbicides à base de glyphosate.
(4) Toujours d’après l’INSERM, « Une étude de cohorte consiste à recruter des individus indemnes de la pathologie d’intérêt et à les suivre dans le temps pour identifier au niveau individuel l’éventuelle survenue de la pathologie. » Bien que le protocole en soit plus lourd et plus coûteux, l’étude de cohorte est considérée comme l’approche reine.
(5) « Glyphosate use and cancer incidence in the agricultural health study » Andreotti G. et al in J Natl Cancer Inst. 2018, qui constitue une actualisation de l’étude de 2005 « Cancer incidence among glyphosate-exposed pesticide applicators in the Agricultural Health Study » De Roos et al in Environment Health Perpectives
(6) Il est établi en cancérologie qu’il y a toujours une période de latence – plus ou moins grande selon le type de cancer – entre l’exposition à un produit cancérogène et la formation puis la détection du cancer correspondant. Dans le cas d’espèce, l’INSERM considère que « les lymphomes non-Hodgkiniens nécessitent généralement une période de latence entre 15 et 20 ans ». Si l’on considère que l’utilisation de produits à base de glyphosate n’a réellement démarré aux USA qu’après l’introduction des semences OGM « Roundup-Ready » en 1996, il est alors logique que les premiers cas de lymphome induit n’apparaissent guère avant le début des années 2010 !
(7) « Pesticide use and risk of non-Hodgkin lymphoid malignancies in agricultural cohorts from France, Norway and the USA: a pooled analysis from the AGRICOH consortium » Leon et al in International Journal of Epidemiology March 2019.
(8) « The Ramazzini Institute 13-week pilot study glyphosate-based herbicides administered at human-equivalent dose to Sprague Dawley rats: effects on development and endocrine system” Manservisi et al in Environmental Health 12 March 2019.
(9) Restant en deçà de la dose journalière admissible calculée par les autorités sanitaires américaines, soit 1,75 milligramme de glyphosate par kilo de poids corporel et par jour (mg/kg/j).
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