Tous les 7 ans, la Politique Agricole Commune (PAC), plus ancienne politique budgétaire commune de l’Union européenne qui bénéficie au monde agricole et aux citoyens des 27 pays membres, connait une réforme. La prochaine réforme, en cours de discussion, devrait être validée en 2021. Elle définira les nouveaux soutiens à l’agriculture, à l’élevage et à l’alimentation pour la période 2021-2027. Dans ce cadre, la Commission Européenne a produit des propositions que des chercheurs allemands ont analysé dans un rapport publié le 2 août dernier : « A greener path for the EU Common Agricultural Policy » . Leurs conclusions sont sans appel : les propositions sur la table ne permettront pas de répondre à l’ambition environnementale et sociale requise. Le processus de réforme est par ailleurs lui-même pointé du doigt : il favoriserait les lobbys puissants au détriment des scientifiques et des acteurs de l’intérêt général…
Qu’est-ce que la politique agricole commune (PAC) ? en quoi son rôle est-il capital pour relever le défi climatique et social ?
En Europe, 40% de notre surface est dédiée à l’agriculture, soit 174 millions d’hectares. Ces surfaces agricoles sont indispensables puisqu’elles permettent de nourrir la population. Mais, depuis de nombreuses années elles participent aussi par l’intensification de leur usage, à la destruction de notre biodiversité, support de toutes nos activités économiques et sociales (source : IPBES, 2019).
Créé en 1962 avec l’objectif d’améliorer les rendements agricoles pour assurer la sécurité alimentaire de l’UE, la PAC représente aujourd’hui 40% du budget total de l’Union européenne. La France est de loin l'Etat membre qui perçoit le plus d'aides au titre de la PAC, soit près de 9 milliards d'euros. Les aides apportées sont réparties suivant deux piliers :
• Le premier pilier concerne les aides directes distribuées en fonction de la surface des exploitations. Il s’agit des aides à l’hectare. Plus l’exploitation est importante, plus les aides le sont également. La production n’entre pas en ligne de compte. En France, ce premier pilier concentre 85% du budget alloué par l’UE.
• Le second pilier concerne le développement durable. Il vise à accompagner certaines installations, la modernisation des exploitations, les zones à handicaps naturels, la conversion à l’agriculture biologique, etc. Les aides apportées par ce second pilier fonctionnent selon une logique de cofinancement. La France doit aussi mettre la main à la poche…
Dans un contexte de forte tension sociale avec des agriculteurs, de moins en moins nombreux, et de plus en plus mal rémunérés, d’érosion massive de la biodiversité et de hausse des émissions de gaz à effet de serre d’origine agricole (quasi doublées au cours des cinquante dernières années ), la Politique agricole commune est donc un outil fondamental pour assurer le virage agroécologique nécessaire pour relever les défis écologique, climatique, de rémunération et d’emploi. Il est d’ailleurs estimé que la PAC a le potentiel de soutenir 9 des 17 Objectifs de Développement Durable défini par l’ONU.
Pourtant depuis de nombreuses années, la société civile dénonce la PAC comme responsable des dégradations environnementales, climatiques et sociales observées. D'après un récent sondage européen : 92% des citoyens et 64% des agriculteurs considèrent que la PAC devrait améliorer sa performance vis-à-vis de la protection de l’environnement et du climat.
Des chercheurs allemands ont analysé les propositions de réforme de la PAC : ils demandent à l’Union européenne de revoir sa copie !
Des chercheurs allemands du German Centre for Integrative Biodiversity Research (iDiv), Helmholtz Centre for Environmental Research (UFZ) et de l’université de Göttingen se sont penchés sur les propositions de réforme de la PAC émises par la Commission européenne au regard des obligations environnementales, climatiques et de développement durable. Leurs conclusions sont on ne peut plus claires : les intentions de réformes de la PAC démontrent une très faible volonté d’améliorer la protection de l’environnement et de répondre aux objectifs de développement durable. D’après ces chercheurs, ces propositions de réforme représentent même un rétropédalage par rapport à la Politique Agricole Commune actuelle !
Plus concrètement, le rapport « A greener path for the EU Common Agricultural Policy” pointe du doigt quatre problèmes majeurs :
- La Commission européenne a la volonté de maintenir certains instruments de la PAC actuels qui ont prouvé être inefficaces, dangereux pour l'environnement et socialement injuste. C’est le cas des paiements directs qu’elle propose de maintenir et d’élargir. Pourtant, les paiements directs sont déjà un budget de près de 40 milliards d'euros (70% du budget de la PAC) payés aux agriculteurs sur la base de la taille de surface cultivée. Cela entraine une distribution inégale des fonds : 1.8% des bénéficiaires perçoivent 32% de l'argent. Comme le souligne Sébastien Lakner de l'Université de Gottingen, ces mesures compensatoires avaient pourtant été introduites en 1992 en tant que solution intermédiaire et manquent de justification scientifique.
- La Commission européenne propose de réduire le budget de certains outils qui ont prouvé leur efficacité vis-à-vis des enjeux biodiversité, climat et sociaux. C’est le cas du pilier 2, appelé aussi Programme de Développement Rural. Alors que ce pilier ne représente que 10% du pilier 1, la Commission européenne propose de réduire ce budget de 28% dans les prochaines années. Cette proposition présente de réels risques environnementaux et sociaux selon les auteurs du rapport.
- La Commission européenne déclare que 40% du budget de la PAC est compatible avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pas si vite répondent les chercheurs ! D'après eux, ce calcul reste questionnable. D’autre part, alors que les émissions de gaz à effet de serre augmentent, la Commission européenne ne propose aucun instrument spécifique.
- Les chercheurs mettent en évidence que le processus de réforme de la PAC en lui-même est déséquilibré permettant à des lobbys puissants d'influencer et de promouvoir leurs propres intérêts, excluant de fait les acteurs de la science du climat et de la biodiversité, les organisations d’intérêt général, les promoteurs d’une agriculture durable …
Les solutions pour promouvoir une PAC bonne pour le climat, la biodiversité et l’emploi existent ! Il est possible de rectifier le tir…
Les chercheurs allemands considèrent la fin des paiements directs à l’hectare comme étant l’action clef pour améliorer la politique agricole commune. De même, ils appellent à renforcer le pilier 2 présentant les meilleurs outils pour répondre à la protection de la biodiversité et au dérèglement climatique.
En France comme en Allemagne, les organisations de la société civile sont organisées afin de proposer collectivement les solutions à leurs parlementaires et gouvernements. La Fondation Nicolas Hulot collabore ainsi depuis de nombreuses années au collectif « Pour une autre PAC » qui rassemble 38 organisations paysannes, de protection de l’environnement et du bien-être animal, de solidarité internationale et de citoyens et consommateurs. Ensemble, nous avons identifiés 12 axes prioritaires accompagnés d’actions très concrètes pour dessiner une politique agricole et alimentaire de transition répondant aux enjeux environnementaux, climatiques, sociétaux et sanitaires de notre siècle.
Parmi les principales propositions que nous portons collectivement : les paiements pour services environnementaux et de bien-être animal dans le cadre du pilier 1, afin de rémunérer des pratiques agricoles mises en place par les paysans dans leur activité, vertueuses pour l’environnement, la biodiversité, le climat ou le bien-être animal.
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