Le 27 mai dernier, la présidente de la Commission européenne a présenté une proposition de plan de relance post Covid-19. Fortement inspirée de l’initiative franco-allemande, cette proposition pourrait marquer un tournant majeur pour l’Europe. Pour la première fois, l’Union européenne s’endetterait massivement pour transférer des sommes importantes aux pays les plus touchés par la crise sanitaire. Les chefs d’État et de gouvernement se retrouveront le 18 juin prochain pour poursuivre les négociations. Mais pour que ce plan marque un tournant historique, encore faut-il en faire un moteur de la transition écologique. Quelles mesures pourrait prendre la France pour imposer cet agenda ? La Fondation Nicolas Hulot donne les pistes à suivre.
La Commission européenne propose d’emprunter 750 milliards d’euros, mais à quoi servirait cet argent?
- Près de 500 milliards seraient utilisés sous forme de subventions pour financer directement la sortie de crise dans les quatre années à venir. 190 milliards iraient aux programmes du budget européen (par exemple le Fonds de transition juste qui passerait de 7,5 à 40 milliards d’euros pour aider les régions - minières notamment - à faire leur transition tout en préservant l’emploi). Les 310 autres milliards d’euros seraient transmis directement aux États membres en fonction de leurs difficultés. Ici la solidarité joue à plein, car la distribution des fonds se fait bien en fonction des besoins et non du seul poids économique. L’Italie pourrait récupérer 82 milliards d’euros, l’Espagne jusqu’à 77 milliards, la France 39 milliards, la Pologne 38 milliards, et l’Allemagne 29 milliards seulement.
- Les 250 milliards restants pourraient être prêtés aux États membres. Cette dernière enveloppe est pour l’heure inutile puisque les pays européens peuvent s’endetter par leurs propres moyens à des taux d’intérêts très bas. Cette enveloppe a peu d’intérêt tant que l’action de la Banque centrale européenne (BCE) sera suffisante pour calmer la spéculation.
Pour l’heure, la BCE est au rendez-vous (pas encore climatique), puisqu’elle a annoncé ce 4 juin un quasi doublement de ses politiques anti-crise. Et ce n’est sans doute pas sans rapport avec la proposition de la Commission européenne. En effet, avec cette annonce, la BCE déclare qu’elle va pouvoir participer au rachat de cette nouvelle dette européenne. C’est important car lorsque viendra le temps de rembourser ces 500 milliards d’euros – entre 2028 et 2058 - , il faudra soit se serrer la ceinture budgétaire, soit financer le remboursement par de nouvelles taxes européennes (sur les géants du numérique, par une taxe carbone aux frontières, par une taxe sur les transaction financières..?), soit prolonger la durée de vie de cette dette, voire de renoncer à son remboursement.
Objectif 1 : que le Green Deal devienne la nouvelle obsession européenne
Avant de se poser la question du remboursement, la prochaine bataille politique – majeure - va porter sur les conditions qui vont accompagner ce transfert d’argent. Ici se joue quelque chose de plus important encore que le seul plan de relance. Pour l’heure, ce moment de solidarité n’est considéré que comme une trêve sur le terrain budgétaire. Pour justifier ce qui représente pour certains un virage politique à 180°C, quelques gouvernements brandissent déjà à l'horizon d’un, deux ou trois ans, un retour de la rigueur budgétaire. La baisse de la dépense publique, devenue l’alpha et l’oméga des politiques européennes après la crise de 2008, ne doit pas redevenir une obsession européenne sous peine de maintenir, dans tous les pays européens, la pression à la baisse des investissements nécessaire à la réduction de notre impact sur la planète (lire l'article d'Alain Grandjean sur ce sujet). Le compromis sur les conditions apportées au transfert d’argent européen sera un premier révélateur de ce qui pourrait ressurgir dans quelques mois.
Une bataille autour des vieux totems européens
A l’heure actuelle, deux options s’affrontent à Bruxelles :
- une conditionnalité minimale demandée par un grand nombre d’États. Soit qu’ils se souviennent de la violence politique qu’avait représentée les conditions drastiques fixées à la Grèce lors de son « sauvetage » en 2015. Soit, plus prosaïques, qu’ils estiment avoir trop fort à faire avec la crise, pour devoir justifier dans le détail comment ils vont utiliser l'argent reçu.
- un conditionnement drastique demandé par les pays les plus opposés à toute solidarité. Les Pays-Bas, l’Autriche, la Suède ou encore le Danemark tiennent une position radicale. Si transfert il doit y avoir, cela doit se faire à la stricte condition de « réformes » destinées à réduire la dépense publique.
Une troisième voie : le Green Deal
La Fondation Nicolas Hulot propose de conditionner l’usage de cet argent européen à un redémarrage de l’économie compatible avec les objectifs climatiques et de reconquête de la biodiversité. Ces objectifs européens figurent en bonne place dans les traités. Cette voie médiane permettrait d’allier l’idée que cet argent doit être utilisé au mieux, tout en tournant définitivement le dos à des politiques de baisse des dépenses publiques, qui ont fragilisé les pays depuis 10 ans.
C’est autour de cette nouvelle façon de penser le conditionnement des aides que l’on pourrait reconstruire de la confiance en Europe après plus d’une décennie de querelles budgétaires. La voie est d’autant plus crédible que les opinions publiques des quatre pays dont les gouvernements sont les plus réfractaires à la solidarité sont parmi les plus mobilisés en faveur de la transition écologique.
Deux conditions pourraient être fixées :
- Appliquer concrètement le principe « Do no Harm » (ne pas nuire), cité comme un principe non contraignant dans la proposition de la Commission européenne. L’idée est de faire en sorte qu’au minimum, aucun euro n’aille au financement de projets qui portent atteinte au climat ou à la biodiversité. Cela veut dire par exemple pas de projets dans les énergies fossiles, pas de construction d’autoroutes ou de nouveaux complexes immobiliers.
- Fixer un objectif d’investissements favorables au climat et/ou à la biodiversité. 75% des montants pourraient servir des politiques d’investissements écologiques.
En faisant du financement des biens communs – un air sain, un climat moins déréglé, des écosystèmes en bon état, etc. – la principale condition de la solidarité européenne, les chefs d’État et de gouvernement enverraient le message que le Green Deal est la vraie priorité et que demain les financements massifs nécessaires à la transition écologique et solidaire ne seront plus soumis à une application idéologique de règles budgétaires sans fondements économiques.
Objectif 2 : que la France donne l’exemple dans l’usage de ses 39 milliards d’euros
Dans la proposition de la Commission européenne, la France pourrait prétendre à 39 milliards d’euros de transfert direct. Pour convaincre ses partenaires d’être ambitieux et de transformer les discours en actes, la France a la possibilité de montrer l’exemple en respectant trois critères :
- Un plan compatible avec les objectifs climatiques défendus : la France défend l’objectif d’une réduction des émissions de CO2 d’ici 2030 -bien plus que les -40% de la Stratégie Nationale Bas Carbone-. L’usage de cette enveloppe doit être compatible avec cette trajectoire. Le Haut Conseil pour le climat devrait être nommé garant de cette compatibilité.
- Un plan de mesures additionnelles : ce critère est également important. Il ne faudrait pas que cette enveloppe soit dédiée à financer ce qui était déjà financé. Aucun tour de passe-passe budgétaire n’est acceptable. L’argent européen doit soutenir de nouveaux projets qui accélèrent la transformation de l'économie.
- Un plan co-construit avec les citoyens, les collectivités locales, les syndicats et les associations : c’est l’une des conditions pour éviter que le plan ne soit décidé sur un coin de bureau ministériel. Autant il est nécessaire de fixer des consignes claires (les deux premiers points), autant il est pertinent d’organiser - dans la mesure du possible - un compromis national sur le meilleur moyen de faire de cette sortie de crise un accélérateur de la transition écologique et solidaire.
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