Suite à notre mobilisation, et à la pression que nous avons exercée avec d'autres experts et organisations environnementales, Emmanuel Macron s’était engagé, en 2021, à ne pas ratifier l’accord de commerce entre l’UE et les pays du Mercosur, en l’état. Mais un nouvel élément pourrait changer la donne : le projet de règlement contre la déforestation importée présenté en novembre 2021 par la Commission européenne. Sous prétexte que ce règlement pourrait résoudre les impacts environnementaux de l’accord, la France risque de revenir sur ses pas. A la FNH, nous avons étudié les impacts d’un tel retour en arrière et nos conclusions sont claires : ce règlement comporte des faiblesses auxquelles il faut remédier, mais surtout il ne répond dans aucun cas aux conséquences environnementales, sanitaires et de concurrence déloyale qu'entraîneraient l’accord !
Suite aux appels de la société civile la Commission européenne a publié en novembre 2021 un projet de règlement contre la déforestation importée qui devrait être adopté cette année. En effet, l’appétit des pays du Nord pour certains produits comme le soja, l’huile de palme, la viande, le cacao ou le café contribue fortement à l’accélération de la déforestation[1]. D’ailleurs, près d’un tiers de la superficie forestière perdue est liée au commerce international. Parmi ces produits associés à la déforestation, les importations et la consommation des pays de l’UE ont compté pour 36 % entre 1990 et 2008 !
L’accord UE-Mercosur entraînerait une hausse conséquente de la déforestation
En Amérique du Sud, l’agriculture industrielle est à l’origine des deux tiers de la déforestation, essentiellement en raison de l’augmentation de la demande de terres pour la culture du soja et l’élevage de bétail[2]. La signature de nouveaux accords de commerce incite à augmenter la production agricole et favorise donc davantage de déforestation. Avec notre partenaire l’institut Veblen, nous avons calculé que l’accord UE-Mercosur augmenterait de 25% la déforestation en six ans dans les pays du Mercosur. Une situation dramatique alors que dans les zones tropicales, rien que pour l’année 2020, 4.2 millions d’hectares de forêts primaires ont été détruits[3].
Les forêts nous fournissent pourtant des services essentiels
Elles régulent le cycle du carbone et la concentration de CO2 dans l’atmosphère, elles hébergent 80% de la biodiversité terrestre et permettent de subvenir aux besoins d’1,6 milliard de personnes[4]. Détruire les écosystèmes forestiers, c’est accélérer le réchauffement climatique, accélérer la perte de biodiversité animale, végétale et microbienne et mettre en péril des milliards de personnes.
“Cependant, le projet de règlement européen sur la déforestation importée ne résoudra pas la question !”
Le Gouvernement français a indiqué que l’entrée en vigueur du règlement européen sur la déforestation importée serait l’une des conditions d’acceptabilité par la France de l’accord[7]. Néanmoins, nous soutenons que la proposition de règlement contient de nombreuses faiblesses :
- Des produits clés non concernés : le règlement, qui se concentre sur la conversion de forêts à des fins agricoles, vise des produits connus comme étant associés à la déforestation - le soja, l'huile de palme, le cacao, le café, les bovins, le bois - mais en oublie d’autres comme le maïs, l’hévéa, le colza, le coton ou la canne à sucre. Il a été pourtant évalué que l'expansion de la canne à sucre dans les pays du Mercosur aurait un effet indirect : celui de déplacer la production d’autres produits vers les zones forestières[8]
- Des écosystèmes essentiels non protégés : tels que les savanes, les zones humides et les prairies à haute biodiversité sont exclus de son champ, alors qu’ils peuvent être impactés par la déforestation. Les écosystèmes naturels du Cerrado au Brésil ou du Chaco en Argentine ne seraient donc pas pris en compte !
De nouvelles espèces y sont décrites chaque année. On estime qu’il compte 12 000 espèces de plantes ainsi que plus de 850 espèces d’oiseaux et 251 espèces de mammifères.
- Une date trop tardive : le règlement établi que les produits qui ne sont pas « zéro déforestation », qui ne sont pas produits conformément à la législation du pays et qui ne font pas l’objet d’une déclaration de diligence raisonnable ne pourront ni être mis sur le marché de l’Union, ni être exportés à partir de ce marché. Il reste que la date butoir proposée est bien trop tardive : seuls les produits associés à de la déforestation ayant eu lieu après le 30 décembre 2020 se verront refuser l’accès au marché européen.
- Un manque de traçabilité qui met en question l’efficacité du règlement : les entreprises qui mettent les produits visés par le règlement sur le marché européen ou qui les exportent à partir de ce marché sont tenues de collecter des informations sur la provenance des matières premières, d’évaluer les risques et de prendre, si nécessaire, des mesures d'atténuation, afin de s’assurer que seul les produits zéro déforestation entrent sur le marché européen. Cependant, le manque d’exigence en termes de traçabilité au sein des pays du Mercosur rend cet exercice complexe et donc les résultats peu fiables.
Au-delà de la déforestation, d’autres impacts liés à l’accord rendent sa ratification inadmissible
Le contenu reste en effet plus que problématique, notamment en matière de normes sanitaires. En matière de pesticides notamment, 27% des 190 principes actifs autorisés au Brésil sont interdits dans l’UE, et surtout les limites maximales de résidus sont souvent beaucoup plus hautes au Brésil (10 fois plus sur le glyphosate - canne à sucre, ou 400 fois pour l’utilisation de malathion sur les haricots (produits interdits dans l’UE).
Par ailleurs, avec l’Institut Veblen, nous avions déjà souligné dans un rapport publié en 2020 que “les chapitres développement durable de l’accord sont non contraignants", ce qui est problématique. Par ailleurs, le fait que des produits issus de pratiques interdites entrent légalement dans l’Union européenne met à mal les agriculteurs européens qui subissent ainsi une concurrence déloyale.
Sources
[1] Nguyen Tien Hong, Keiichiro Kanemoto, « Mapping the deforestation footprint of national reveals growing threat to tropical forests », Nature ecology & evolution, n°5, 2021, pp. 845-853
[2] Mordue de viande. L’Europe alimente la crise climatique par son addition au soja, Greenpeace, Juin 2019, p.5
[3] World Resource Institute, How much forest was lost in 2020, https://research.wri.org/gfr/forest-pulse
[4] WWF, https://www.wwf.fr/champs-daction/foret
[5] Document du ministre chargé du Commerce extérieur et de l’attractivité de travail sur le projet d’accord d’association UE-MERCOSUR, divulgué dans la presse le 29 janvier 2021
[6] Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la mise à disposition sur le marché de l'Union ainsi qu'à l'exportation à partir de l'Union de certains produits de base et produits associés à la déforestation et à la dégradation des forêts, et abrogeant le règlement (UE) n° 995/2010
[7] Final overview trade SIA EU-Mercosur, Final report, mars 2009, p. 35
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