L’accord commercial entre l’Union européenne et les pays du Mercosur [1], auquel la France s’était opposée en l’état, est toujours en attente de ratification. Cependant, trois nouveaux éléments pourraient rebattre les cartes : le découpage de l’accord par la Commission européenne pour accélérer sa ratification, l’adoption du règlement européen contre la déforestation importée et la victoire de Lula aux élections brésiliennes. En effet, ce dernier a émis le souhait de clôturer la ratification de l’accord dans les 6 mois s’il était élu.
Si l'élection de Lula est une bonne nouvelle pour la lutte contre le changement climatique, elle ne rend pas pour autant l'accord de commerce moins dangereux pour l'environnement et les droits humains. Avec Interbev et l’Institut Veblen nous alertons à nouveau : peu importe les conditions qui seraient revues, l'accord de commerce UE-Mercosur c'est non !
Un accord perdant-perdant à tous les niveaux !
En 2019, dans notre rapport « Accord UE-Mercosur, un accord perdant-perdant », nous alertions déjà sur les terribles impacts de l’accord sur plusieurs plans. Ces impacts ont d'ailleurs été confirmés par les experts mandatés par le Gouvernement français en 2020 :
- Une hausse considérable de la déforestation : Du seul fait de la hausse de la production de viande bovine anticipée en réponse à la hausse des quotas prévue dans l’accord (99 000 tonnes, soit le double que pour le CETA !), la déforestation dans les pays du Mercosur pourrait augmenter de 25% par an au cours des six prochaines années. Un chiffre alarmant, alors que depuis l’élection de Bolsonaro la déforestation en Amazonie a augmenté de 75% et qu’aujourd’hui la plus grande forêt tropicale humide au monde a atteint le point de non-retour (26% est dans un état de déforestation ou de dégradation avancée.)
- Des pesticides et autres substances interdites en Europe dans nos assiettes : les produits agricoles dont les importations seront encouragées dans le cadre de l’accord ne seront pas tenus de respecter les standards de production européens, ce qui donnera un avantage aux producteurs du Mercosur. En effet, certaines pratiques sont interdites dans l’UE mais autorisées dans ces pays. Par exemple, 44 % des pesticides de synthèse homologués au Brésil ne sont pas approuvés dans l’UE et les limites maximales de résidus sont souvent beaucoup plus élevées au Brésil qu’en UE [2].
- Une concurrence déloyale subie par les éleveurs européens. Alors même qu’en France les éleveurs traversent une crise sans précédent [3] aggravée par la sécheresse, l’entrée de telles quantités de viande produite à bas coût et bénéficiant d’une réduction de droits de douane et de contingents tarifaires, ne peut qu’empirer la situation.
- La sécurité sanitaire reléguée au second plan : les instances européennes ont relevé de nombreuses défaillances dans les contrôles sanitaires effectués dans plusieurs pays du Mercosur. Or, l’accord prévoit des mesures d’allègement des contrôles sanitaires, cela en dépit des scandales à répétition qui ont notamment secoué le Brésil et, par ailleurs, mis en lumière un système de contrôle corrompu (notamment l’affaire « Carne Fraca » ou « viande avariée » en 2017).
- Un risque d’affaiblissement des standards européens : l’accord offre une base juridique supplémentaire pour mettre en cause les mesures sanitaires européennes devant des tribunaux arbitraux entre Etats disposant du pouvoir, le cas échéant, de contraindre l’UE au retrait ou à l’aménagement desdites mesures.
Un règlement contre la déforestation importée qui ne réglera pas tous les problèmes
Le Gouvernement français a indiqué que l’existence d’une réglementation en matière de déforestation importée serait l’une des conditions d’acceptabilité par la France de l’accord. Or, si ce texte, voté par le parlement européen le 13 septembre dernier, est certes plus ambitieux que la proposition de la Commission présentée en novembre 2021 (sous réserve que les avancées ne soient pas détricotées cet automne lors de son examen en trilogue), il ne permettra pas de neutraliser l’ensemble des effets environnementaux, sanitaires et sociaux néfastes de l’accord UE-Mercosur. Le Gouvernement français avait aussi évoqué deux autres lignes rouges qui restent largement franchies par l’accord :
- Que les politiques publiques des pays du Mercosur soient pleinement conformes avec leurs engagements au titre de l'Accord de Paris, qui font partie intégrante de l’accord d'association ;
- Que les produits agroalimentaires importés bénéficiant d’un accès préférentiel au marché de l’Union européenne respectent bien, de droit et de fait, les normes sanitaires et environnementales de l’Union européenne. Un suivi de ces produits sera effectué.
Un coup d’accélérateur inquiétant de la part des instances européennes
Une simple “lettre d’accompagnement sur la préservation de l’environnement”, dont on ignore le contenu et la valeur juridique, serait en préparation pour relancer la ratification. Pire : la Commission européenne serait en train de consulter les pays du Mercosur pour découper l’accord en deux pour isoler la partie “commerce”. En procédant ainsi, elle serait en mesure de court-circuiter les parlements nationaux des Etats membres : le volet “commerce” de l’accord relèverait en effet de la compétence exclusive de l’UE, et ne serait soumis qu’à l’approbation du Parlement européen et du Conseil. “Un passage en force anti-démocratique”, selon nos trois organisations.
Pour toutes ces raisons, nous appelons Emmanuel Macron à maintenir son cap et à s’opposer à la ratification de l’accord UE - Mercosur, accord à tous points de vue incompatible avec les objectifs du Green Deal européen !
Pour aller plus loin : Consultez la note de position "Pourquoi la France doit maintenir sa position contre le projet d'accord de commerce UE-Mercosur ?" de la FNH, Interbev et l'Institut Veblen.
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