Propositions

Comment diminuer l’usage des pesticides de synthèse jusqu’à en sortir ?

Publié le 21 février 2020 , mis à jour le 02 juillet 2024

Depuis 10 ans, les pouvoirs publics fixent des objectifs de réduction de l’usage des pesticides de synthèse. Mais, alors que le plan Ecophyto pose l’objectif de -50% d’usage des pesticides c’est un bond de 25% qui est enregistré depuis 2008 ! Comment expliquer cet échec ? Impossible de s’en sortir ou… manque de volontarisme ? Quels sont les mécanismes qui nous empêchent de sortir d’un modèle destructeur pour l’environnement et la santé des agriculteurs et les citoyens ? Et surtout : quels sont les leviers pour aller vers une nouvelle agriculture ?

Retour en arrière : dans les années 50, les besoins alimentaires sont énormes. On sort de la guerre, c’est le baby-boom. Il faut nourrir le monde. Le milieu agricole doit se transformer, alors on troque les pratiques ancestrales pour les machines agricoles, les engrais et les pesticides de synthèse ; et on se jette à corps perdu dans des pratiques intensives en intrants et la monoculture. 

Le constat : les politiques publiques au cœur d’un dispositif qui favorise l’usage des pesticides

Les politiques publiques ont favorisé et permis cette transformation de manière très rapide. Elles continuent encore aujourd’hui de soutenir massivement ce modèle agricole, intensif en pesticides de synthèse. Deux exemples : 

La Politique Agricole Commune (PAC)

Mise en place en 1962, elle vise à développer la production agricole afin de nourrir les européens. Elle atteint très vite son objectif et le dépasse même entrainant ainsi une surproduction agricole. La PAC devient une politique publique coûteuse (38% du budget européen) et mal répartie. Par exemple, ces dernières années, la part du budget alloué aux aides vers des pratiques agricoles non durables (intensives en pesticides de synthèse par exemple) demeure bien supérieure aux soutiens d’une agriculture favorable à la biodiversité, à l’emploi, au bien-être animal, au climat. 

Les politiques commerciales

L’Europe au lendemain de la seconde guerre mondiale a pu mettre en place des droits de douanes sur des produits tels que les céréales, le lait, le sucre et la viande, cela a permis de développer la production européenne et donc nourrir les citoyens grâce à cette protection. Mais les années 90 marquent un tournant vers la libéralisation des échanges notamment du secteur agricole. Cette libéralisation tire les prix des produits agricoles vers le bas et met en concurrence des agricultures aux normes et contraintes différentes. Par exemple si l’atrazine est interdite pour les agriculteurs en Europe, il est encore possible d’importer les produits du monde entier traités avec des produits contenant cette substance active. 

Le problème : on a créé un modèle perdant-perdant

Aujourd’hui, le bilan de toutes ces années d’agriculture conventionnelle est dramatique. Les impacts sur l’environnement et la santé publique sont lourds et la profession est en crise :

  • Le lien entre exposition aux pesticides et développement de cancers et de maladies neurodégénératives a été démontré par l’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale).
  • Un million d’espèces animales et végétales – soit une sur huit – risquent de disparaître à brève échéance de la surface de la Terre ou du fond des océans. L’IPBES (la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) pointe du doigt les systèmes agroindustriels actuel notamment par le biais du recours massif aux pesticides de synthèse.
  • Le salaire moyen des agriculteurs se situe à 1 250 euros par mois (selon la Mutualité sociale agricole) et un quart des agriculteurs vit sous le seuil de pauvreté.

D’un point de vue social, économique et environnemental, l’agriculture a tout à reconstruire. Mais quelle est l’alternative ? Depuis des années, l’efficacité et les bienfaits de l’agroécologie ont été largement démontrés : respect de la biodiversité, de la santé des agriculteurs, des sols et de l’eau…sans pour autant une perte économique, bien au contraire. Encore mieux : face aux différents événements climatiques extrêmes qui seront amplifiées par le dérèglement climatique, il a été démontré que les cultures basées sur un modèle agroécologique sont plus résilientes !

Maintenant, les agriculteurs doivent être accompagnés techniquement et financièrement pour changer leurs pratiques agricoles en toute sécurité. 

Quelles politiques publiques pour accompagner le changement de modèle ?

Les pesticides de synthèse sont au cœur du problème. Pour changer drastiquement de cap afin de protéger nos agriculteurs qui sont les premiers empoisonnés par ces substances et notre environnement (notre sol, notre eau, notre biodiversité), il est nécessaire d’apporter des moyens suffisants et de changer les règles du jeu. La Fondation Nicolas Hulot porte les deux propositions de mesures structurantes suivantes à mettre en place :

La redistribution du budget de la PAC

Au moins 50% du budget de la prochaine Politique Agricole Commune doit être consacré à des mesures permettant le maintien et le développement réel de systèmes agroécologiques (dont l’agriculture biologique).

L’instauration de mesures-miroirs

L'objectif : les produits importés seraient ainsi soumis aux mêmes règles que les produits agricoles produits dans l’Union européenne, afin de protéger les fermes françaises et européennes de la concurrence déloyale. C’est ainsi le meilleur moyen pour que l’interdiction du glyphosate puisse également concerner les denrées importées traitées au glyphosate.

C’est bien par des moyens massifs donnés à la transition écologique et sociale et par le respect des règles européennes pour les produits importés que nous pourrons enclencher la diminution de l’usage des pesticides de synthèse jusqu’à en sortir.

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