Notre modèle agricole et alimentaire actuel s’est révélé être un accélérateur de propagation d’épidémies, mais aussi un secteur vulnérable et peu résilient face à la crise sanitaire, notamment à cause de sa forte dépendance aux échanges mondialisés. Au contraire, d’autres modes de production et de commercialisation, plus diversifiés, autonomes et locaux, comme les circuits courts, se sont montrés prêts à répondre aux variations de la demande. Ainsi, la relocalisation et la diversification de notre agriculture, couplée au développement massif de l'agroécologie, s’avèrent être une priorité pour transformer le monde de l’après en un monde résilient et durable. Pour ce faire, la FNH propose 5 mesures essentielles.
Rapport
Réorienter et relocaliser notre agriculture et alimentation vers un modèle résilient et durable
Télécharger le rapport (format pdf - 502 Ko)Quels sont les enseignements sur notre modèle agricole et alimentaire révélés par la crise sanitaire ?
- Déforestation, érosion de la biodiversité...notre modèle agricole et alimentaire actuel est en partie responsable de la hausse des épidémies et leur propagation.
- Le système de production agricole et alimentaire dominant est fragile, car il dépend d’une main d’oeuvre précarisée, des échanges et des chaînes mondialisés. Son manque de diversité de productions et de débouchés ne lui permet pas de répondre aux variations de la demande et des comportements alimentaires.
- C’est par les modèles agricoles et de commercialisation diversifiés autonomes et locaux, que notre alimentation a su être résiliente durant la crise sanitaire.
- Les comportements alimentaires se sont orientés vers plus de bio et de circuits courts pendant la crise. Les citoyens font de la relocalisation la priorité de l’après-crise : plus de 9 personnes interrogées sur 10 veulent que l'exécutif garantisse « l'autonomie agricole de la France » (les Echos 2020).
- Les collectivités territoriales sont des acteurs clés pour amortir le choc des crises, en développant des réponses rapides et adaptées, en particulier sur les systèmes alimentaires.
- Les métiers non valorisés en temps normal, comme les métiers agricoles, sont la clef de voûte de notre quotidien.
- La précarité alimentaire, déjà importante en France (5,5 millions de personnes en 2019), explose en temps de crise.
- La crise met en exergue une action publique insuffisante en temps normal et indécise en temps de crise.
3 objectifs et 5 mesures pour transformer notre modèle après la crise
Relocaliser pour avoir accès à une alimentation saine et diversifiée
La France importe 50% des fruits et légumes consommés. Cependant, nous pourrions produire l’ensemble des denrées nécessaires à notre alimentation au sein de notre territoire, mis à part le café et le chocolat (Gille Fumey). De plus, notre consommation de produits d’origine animale est trop élevée pour répondre au défi climatique actuel et notre élevage dépend très fortement de produits responsables de déforestations. A titre d’exemple, en 2017 la France a importé 3,5 millions de tonnes de soja (dont 61% du Brésil), alors qu’elle n’a produit que 412.000 tonnes sur son sol.
La relocalisation et la durabilité de l’agriculture et de l’alimentation est nécessaire pour maîtriser nos capacités de production, mais aussi pour limiter les impacts environnementaux et soutenir la création d’emplois liés à notre consommation.
D’ailleurs, la restauration collective est un bon moteur pour cela : elle permet de recréer des liens avec les territoires et de retrouver des logiques d’approvisionnement locales sans oublier qu’il est nécessaire qu’elle soit aussi durable. Avec près de 4 milliards de repas par an, la restauration collective est indispensable pour les filières agricoles et pour les populations les plus vulnérables.
Quand à la diversification des cultures, en plus d’être essentielle pour assurer une complémentarité de revenus aux agriculteurs et pour développer l’autonomie alimentaire d’un pays, elle permet d’avoir des paysages hétérogènes qui favorisent la préservation de la biodiversité.
Mesure 1 : Créer un fonds exceptionnel de soutien aux collectivités territoriales, pour développer des systèmes agricoles et alimentaires durables
Ce fonds permettrait de financer sur trois ans :
- la mise en place d’outils et de ressources (plan alimentaire territorial ciblé sur la transition agricole et alimentaire, animateurs territoriaux, etc.)
- les infrastructures nécessaires pour la transformation et la distribution dans les territoires (plateformes logistiques de distribution, ateliers de découpe, abattoirs communaux, abattoirs mobiles, conserveries, légumeries, etc.)
- un grand programme de formation autour de l’alimentation durable et de l’agroécologie pour tous les acteurs clefs du territoire (agriculteurs, banques, conseillers agricoles, cuisiniers, personnel de cantine…).
Mesure 2 : Créer un grand plan français de diversification de l’agriculture dans les territoires
Ce grand plan viserait à soutenir les productions agricoles durables et déficitaires dans notre pays et dans nos territoires, comme les légumes secs (légumineuses), les fruits, les légumes frais et les élevages laitiers et allaitants herbagers (vaches qui se nourrissent majoritairement d’herbe).
Grâce à ce grand plan, l’installation ou la conversion en maraîchage sur une zone de grandes cultures, ainsi que le développement de prairies en Ile-de-France serait fortement incités. Ces dernières apportent de nombreux bénéfices environnementaux (limitation de l’érosion du sol, des inondations, des incendies…) et permettent aux agriculteurs d’utiliser une surface agricole non cultivable pour développer un autre activité (production de viande et de produits laitiers).
Accélérer la transition écologique et sociale de nos systèmes agricoles pour protéger la biodiversité, le climat et les agriculteurs
La transition agroécologique doit être accélérée, afin de prévenir le dérèglement climatique et les dégradations environnementales. Mais pour changer de cap, il est nécessaire d’apporter les moyens suffisants. La crise nous enseigne qu’il est primordial de revaloriser les métiers agricoles, par une meilleure rémunération et un meilleur accompagnement à la transition.
Sur 100€ d’achat, seuls 6,5€ sont perçus par les agriculteurs français. Le reste est majoritairement capté par des secteurs de l’agro-fourniture, de l’industrie agroalimentaire et de la grande distribution (Les Greniers d’Abondance, 2020).
Mesure 3: Dédier au moins 50% des financements de la Politique agricole commune (PAC) au maintien et au développement de systèmes agroécologiques (dont l’agriculture biologique)
Le budget de la PAC est mal réparti : la part du budget allouée aux aides vers des pratiques agricoles non durables (utilisant des pesticides de synthèse par exemple) demeure bien supérieure aux soutiens d’une agriculture favorable à la biodiversité, à l’emploi, au bien-être animal et au climat. Comme le propose la Plateforme pour une autre PAC, il est nécessaire de réorienter au moins 50% de ce budget à la mise en place et au maintien de pratiques et de systèmes agroécologiques.
Mesure 4: Mettre en place une loi foncière en 2021 pour faciliter l’installation des agriculteurs en agroécologie, ainsi que la transmission des fermes
Cette loi devra soutenir un meilleur partage et usage des terres agricoles, mais aussi promouvoir l’installation et le maintien de nombreux agriculteurs avec des pratiques agricoles durables. Ceci est d’autant plus important dans un contexte où :
- 1 agriculteur sur 2 partira en retraite dans les 10 prochaines années.
- la population agricole devrait diminuer d’un quart d’ici 2030.
- la surface urbanisée a doublé entre 1960 et 2010. Cela induit donc un recul de surface des espaces naturels, de terres agricoles et des forêts.
Réguler les marchés afin de garantir des revenus justes et réduire la concurrence déloyale
Aujourd’hui, les denrées agricoles importées ne sont pas soumises aux mêmes règles que celles produites dans l’UE. Cette situation créé une concurrence déloyale pour les agriculteurs européens, et freine la transition agroécologique au sein de l’Europe. Par exemple, on autorise pour certaines denrées importées des limites maximales de résidus de pesticides de synthèse interdits en Europe, comme l’atrazine. Le seul objectif de ce laisser faire est de ne pas bloquer les importations, alors qu’il faudrait, au contraire, privilégier des filières sans atrazine pour protéger économiquement nos agriculteurs et la santé des citoyens européens !
Pour l’élevage, il se passe la même chose : l’usage de farines animales ou d’antibiotiques utilisés comme activateurs de croissance est par exemple interdit au sein de l’UE, mais autorisé pour la viande importée.
Mesure 5 : Prévoir des mesures miroirs dans toutes les réglementations liées à l’agriculture et à l’alimentation
Si les règles de production pour les denrées importées étaient les mêmes que pour celles produites dans l’UE, cela obligerait les agriculteurs voulant exporter vers l’Europe à créer des filières dédiées et certifiées pour respecter les normes.
Par où commencer ? Il est possible d’appliquer des directives (comme nous l’avons déjà pour l’interdiction de l’utilisation d’hormones) ou de mettre en place des règlements comme celui adopté en 2019 pour interdire l’administration d’antibiotiques utilisés comme activateurs de croissance qui marque un premier pas dans cette direction, mais qui doit encore faire l’objet d’une mise en oeuvre effective. Cela pourrait également passer par une révision de de la PAC de la part de l’OCM (Organisation commune des marchés agricoles) ou par l’intégration de ces mesures au Green Deal européen et à la Farm to Fork ("De la ferme à l'assiette", stratégie européenne pour une alimentation durable issue du Green Deal).
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