Les néonicotinoides sont une famille de pesticides très dangereux. Certains sont même 7000 fois plus puissants que le DDT. Malgré cela, le gouvernement n’a pas hésité un instant : face aux baisses de rendements des betteraves à sucre (entre 8 et 15%) sur certaines zones de production, due au développement du virus de la jaunisse, et à la demande de la filière d’accorder une dérogation pour les autoriser à nouveau, un projet de loi a vite été mis sur la table.
L’ironie de l’histoire : la loi biodiversité passée en 2016 prévoyait leur interdiction totale… en 2020 ! Mardi 6 octobre, après des heures de débat, le couperet du vote solennel est tombé : les député.e.s ont voté en faveur du projet de loi (313 pour et 148 contre). Alors que l’on pourrait faire autrement, cette loi sacrifie les abeilles, sans pour autant sauver l’agriculture qui doit dès à présent anticiper en évoluant vers d’autres pratiques. Décryptage.
Un recul majeur pour la biodiversité et pour la durabilité de l’agriculture
Le vote en faveur du projet de loi néonicotinoides est un recul inédit et d’autant plus inacceptable que d’autres solutions sont envisageables pour soutenir la filière betteravière sans pour autant revenir sur une des avancées environnementales les plus significatives de la dernière décennie. Les députées et députés ont voté à la majorité (313 pour et 158 contre) pour le projet de loi qui réautorise les néonicotinoïdes pour la production de betterave à sucre. Le débat au sein de l’hémicycle est clivant et profond. C’est le vote qui a le plus divisé depuis le début du quinquennat au sein de chaque groupe à l’exception de La France Insoumise, Ecologie Démocratie et Solidarité et les Socialistes. Du côté de la majorité une vraie fissure s’est opérée avec 32 votants contre et 36 abstentions.
Ainsi, l’Assemblée nationale acte un recul majeur pour la biodiversité et pour l’avenir de l’agriculture. Cette décision est contraire à la loi biodiversité de 2016 en vigueur qui par ailleurs laissait suffisamment de temps (4 ans) pour trouver des alternatives techniques et agronomiques. Le gouvernement le reconnaît, les filières et la science « n’ont pas fait le boulot», « l’échec est collectif ». Qu’est-ce qui garantit que le travail sera fait dans les 3 prochaines années ? Rien et surtout pas le nouveau comité de suivi proposé par les députés. Cette décision va également à l’encontre du principe de non-régression du droit de l’environnement1, acté dans la loi biodiversité de 2016. Les députées et les députés décident d’ouvrir la boîte de pandore et réaffirment la grande dépendance de notre agriculture aux pesticides.
Et ce, à l’heure où l’état de la biodiversité est au plus mal. 80 % de la biomasse des insectes volants a disparu en Europe en moins de trente ans, causé principalement par les pratiques agricoles actuelles intensives en pesticides. Plus d’un millier d’études attestent de la contamination et de la persistance des néonicotinoides dans les cours d’eau et les sols, bien au-delà des parcelles traitées. Ces molécules impactent l’ensemble de la chaîne alimentaire jusqu’aux vertébrés. Rappelons-le : rien n’est plus toxique que les néonicotinoïdes pour l’environnement et la santé humaine. L’un d’entre eux - imidaclopride - est plus de 7000 fois plus toxique que le DDT.
Et la perte de la biodiversité a une incidence majeure sur notre souveraineté alimentaire. Les pollinisateurs sont indispensables à la reproduction de 75% des espèces cultivées. Leur perte est dramatique pour l’avenir de l’agriculture et de l’alimentation : au niveau mondial, la valeur du service écosystémique de pollinisation est chiffrée à 153 milliards d’euros par an. Pour la France, la perte des abeilles et pollinisateurs à un coût estimé de 2,9 milliards d’euros (selon le ministère de la transition écologique).
Pour en savoir plus sur la dangerosité des néonicotinoides
Recul qui sert une vision exportatrice de l’agriculture et favorise certaines filières
Ce sacrifice de la biodiversité est choisi pour sauver un modèle agricole exportateur et sans futur, une filière qui exporte près de 50% de sa production. Nous le réaffirmons : la réautorisation des néonicotinoides ne sauvera pas la filière sur le moyen et long terme. Explications.
Les betteraviers et surtout l’industrie du sucre craignent une année difficile qui mettrait selon eux en péril les emplois de la filière : l’industrie du sucre (producteurs et salariés) compte 46 000 emplois. Selon eux, une mauvaise année conduirait à des pertes d’emploi importantes dans les usines de transformation. Selon les syndicats agricoles (FNSEA et syndicat du sucre), sans réintroduction des néonicotinoïdes, la filière s’effondre en un an.
Pourtant, si cette filière betterave va mal ce n’est pas uniquement à cause de la réapparition de la jaunisse. Elle est en grande difficulté structurelle notamment depuis la fin des quotas sucriers. La production sucrière française a chuté de 16% en 2019... donc avant l’arrivée de la jaunisse. Les prix mondiaux du sucre sont en berne et la course à la concurrence mondiale s’accélère toujours plus. 4 sites ont fermé ces dernières années malgré des investissements pour produire toujours plus. Malgré la baisse des surfaces cultivées et les cours du sucre bas, la France est le premier pays exportateur de sucre en Europe. Les abeilles sont les bouc-émissaires, victimes de ce manque de vision et de mauvais choix économiques et politiques.
La filière betterave est en grande difficulté structurelle notamment depuis la fin des quotas sucriers. En 2019, la production sucrière française a chuté de 16%, donc avant l’arrivée de la jaunisse.
Faire le choix de réautoriser les néonicotinoides c’est préférer la filière betterave à la filière apiculture. 30% des ruches périssent chaque année en France ce qui fait de la France un des pays européens les plus fortement touchés. De même, la production nationale de miel est en chute libre, divisée par trois en 20 ans (32 000 tonnes en 1995 à 10 000 tonnes en 2014). Les néonicotinoïdes jouent un rôle clef dans la dégradation de l’état de santé des pollinisateurs.
Absence de débat public sur les alternatives aux néonicotinoïdes : elles existent pourtant
La Fondation Nicolas Hulot regrette que les débats autour des vraies solutions qu’elle et certains députés proposait pour soutenir la filière sur le court et le long terme, aient été balayées des discussions très rapidement par le gouvernement et des membres de la majorité. Les solutions économiques existent, elles doivent être débattues et réfléchies car elles permettraient de soutenir durablement la filière en difficulté tout en protégeant la biodiversité par le fait de s’opposer au projet de loi. Les pouvoirs publics doivent soutenir les filières, indemniser les agriculteurs et investir massivement pour trouver rapidement des alternatives. Ecologie et economie réconciliées, comme le voudrait Monsieur le Ministre.
Quelles sont ces alternatives aux pesticides néonicotinoïdes?
- Indemniser les pertes des agriculteurs en conditionnant ces aides à la mise en place de pratiques qui préparent l’avenir : allongement des rotations, planter des haies, retarder les semis. La FNH évalue le coût de l’indemnité à 77,5 millions d’euros.
- Mettre en place un fonds mutualisé écoconditionné pérenne alimenté par l’ensemble de la filière.
- Soutenir ponctuellement la filière en lui demandant des contreparties relatives au maintien des emplois et objectifs écologiques. Alors que le Plan de Relance est en discussion, il est possible de soutenir ce type d’acteurs en difficulté.
- De long terme : mettre en cohérence nos politiques publiques agricoles (réforme ambitieuse de la PAC, revue en profondeur les accords de commerce pour réduire la distorsion de concurrence, prévoir des mesures dans la réglementation européenne qui interdisent l’importation de denrées agricoles ne respectant pas les règles de production de l’Union Européenne -telles que les interdictions d’usage de néonicotinoïdes).
Pour en savoir plus sur les alternatives à la réautorisation des néonicotinoides
Les sénatrices et sénateurs sont en proie à une grande responsabilité : s’opposer au projet de loi tout en proposant des solutions pour soutenir sur le très court et le long terme la filière en difficulté
La Fondation Nicolas Hulot se tourne désormais vers les sénatrices et sénateurs. Elle leur demande de prendre leur responsabilité et de bien vouloir préférer les solutions économiques aux solutions chimiques pour soutenir un secteur en difficulté structurelle sans pour autant condamner la biodiversité, alliée inconditionnelle de notre souveraineté alimentaire.
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