Osons le dire, nous sommes technologiquement époustouflants, mais affligeants à bien des égards. Nous croulons sous l’avalanche de rapports qui pointent du doigt les impacts sanitaires et environnementaux de nos modes de vie, mais le sujet santé-environnement reste le parent pauvre de l’action publique. Plusieurs dizaines de milliards d’euros par an sont dédiés à la santé, mais les actions de prévention n’en représentent que 2,3%, une part dérisoire. Pourtant, appliquer plus scrupuleusement le principe de prévention génèrerait des bienfaits sanitaires, écologiques et économiques.
Un manque de clairvoyance dont les pesticides néonicotinoïdes sont l’un des symboles. En janvier dernier, en première lecture de la loi pour la reconquête de la biodiversité, les sénateurs ont voté contre l’interdiction des pesticides néonicotinoides, pourtant bien connus pour leur dangerosité. Inondant près de 40% du marché des insecticides, ils agissent sur le système nerveux central des insectes et sont d’une redoutable efficacité pour éliminer les ravageurs des cultures qu’ils sont censés cibler… Malheureusement, ils ont une portée qui dépasse leur périmètre d’action initial ! Seuls 2 à 20% du produit atteignent réellement leur cible, le reste contamine les sols et l’eau.
Les abeilles et autres pollinisateurs sont les symboles malheureux de ce désastre sanitaire et écologique. Plus de 85 % des espèces végétales sur terre s’appuient sur l’action des pollinisateurs. Difficile d’imaginer un seul repas auquel les abeilles ne soient pas conviées. A elle seule et à titre gracieux, une ruche peut polliniser jusqu’à 3 millions de fleurs en une journée. La valeur économique de l’activité pollinisatrice des insectes est estimée par l’INRA à 153 milliards d’euros, soit 9,5 % en valeur de l'ensemble de la production alimentaire mondiale. Et pourtant, dans certaines régions françaises, près de trois quarts des essaims d’abeilles domestiques ont disparu. Au fil du temps, nous nous sommes octroyés une succession de permis de tuer des organismes vivants considérés comme nuisibles … au point de contaminer toutes les composantes de la chaîne alimentaire, depuis la terre nourricière en passant par les insectes pollinisateurs, jusqu’à semble t-il, atteindre le cerveau des fœtus ! Nous empoisonnons la Terre autant que nos veines.
Et ça ne s’arrête pas là. A l’alerte environnementale s’ajoutent les problèmes économiques pour les apiculteurs, qui deviendront à termes ceux des agriculteurs dont la production dépend de la pollinisation. Certains diront qu’interdire les pesticides néonicotinoïdes c’est ajouter une difficulté à celles qui étouffent déjà le monde agricole. Au contraire, il est temps d’anticiper les problèmes, de parier sur la biodiversité et d’investir dans une agriculture saine, qui se rend service à elle-même. D’autres pays ont montré l’exemple et mis en œuvre des méthodes alternatives efficaces ; la recherche doit continuer en ce sens.
Si la France a contribué à limiter l’usage de trois de ces substances - clothianidine, imidaclopride et thiaméthoxam – en 2013 au niveau européen, le moratoire doit être revu ces prochains mois. En attendant, une action nationale plus ambitieuse se fait attendre. Le projet de loi sur la biodiversité est l’occasion qu’il faut saisir.
Mesdames et Messieurs les parlementaires, ces produits sont toxiques. Pouvons-nous faire fi de toutes les alertes que les scientifiques mettent à notre disposition pour éclairer nos choix ? Pouvons-nous repousser indéfiniment les décisions à prendre ? En détruisant la biodiversité, notre propre sort est en jeu. Interdisons les pesticides néonicotinoïdes.
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