Par Alain Grandjean
Niet. Rien. Le premier examen du projet de loi Climat et Résilience à l’Assemblée Nationale n’a donné lieu à aucune inflexion politique. Si la discussion n’est pas terminée - au parlement il y aura un temps de séance publique et, dans les ministères, les associations, ONG et syndicats seront encore reçus - force est de constater que le dialogue semble asséché, presque rompu.
Un doute s’est glissé dans la tête des dirigeants français. Dans une France qui “s’archipéllise”, qui se distend, après tout, que représentent ces interlocuteurs? Le dialogue avec les ONG, les syndicats, les associations résout-il des problèmes? Produit-il encore de la légitimité, de la dynamique politique? Il y a là un faux air de prophétie autoréalisatrice. Le récit de l’impuissance génère de l’impuissance.
Le dialogue est pourtant la clé. Il est le moteur de la démocratie. Il est le moyen de tirer de la confrontation des aspirations un chemin collectif et entraînant. A ce titre, la publication de ce second rapport du Think Tank de la FNH est importante. Dédiée à la mise en place d’un règlement européen permettant de rétablir de l’équité de traitement entre les denrées alimentaires produites au sein de l’Union Européenne et des denrées importées, ce travail est le fruit d’un dialogue entre organisations que beaucoup seraient tentés d’opposer. La Fondation Nicolas Hulot et l’Institut Veblen d’un côté, et Interbev, l'interprofession de la viande bovine et ovine, de l’autre.
Des écologistes et des éleveurs main dans la main? Oui et c’est une fierté car si nos organisations ne sont pas d’accord sur tout, elles ont su, en confiance, se poser la question des conditions d’une transition apaisée du monde agricole vers la durabilité. Ici, nous proposons une réforme “clé en main” et compatible avec les règles de l’Organisation Mondiale du Commerce pour protéger, aux frontières de l’Union Européenne, cette transition d’une concurrence déloyale grandissante.
Ce rapport est un nouveau démenti à toutes celles et ceux qui ont voulu dépeindre le précédent rapport de la FNH “ Réduction des Pesticides, pourquoi un tel échec ?” comme une attaque faite aux agricultrices et agriculteurs. Celui-ci posait uniquement la question du rôle de la puissance publique, et du ministère de l’agriculture en particulier, dans le maintien de financements incohérents avec la préparation d’un avenir durable, économiquement et écologiquement, pour l’agriculture de notre pays; et avec les objectifs mêmes de ce ministère.
Ce nouveau rapport est surtout une promesse en acte, celle d’un dialogue social capable de produire du dépassement. Modestement, il montre à voir la place et le rôle d’un dialogue social exigeant dans une France en transition. Exigeant car sincère et sans caricature tout d’abord. Exigeant aussi car basé sur les faits et informations à notre disposition. Exigeant enfin car tourné vers un objectif qui fait sens: un système alimentaire de qualité.
Là réside une piste pour comprendre l’assèchement du dialogue social dans la France de 2021. Quel fut l’objet récurrent des moments de concertation social des dix dernières années? Trop souvent, ce fut l’équilibre budgétaire au sens étroitement comptable. Les partenaires sociaux étaient conviés à s’accorder, non pas sur des moyens de réduire le chômage et la précarité ou de penser les transitions industrielles vers la sobriété, mais sur les moyens de réduire les dépenses. La chasse au déficit a provoqué en Europe un effondrement des investissements, publics et privés, après la crise de 2008-2011. Elle a aussi abîmé notre vitalité démocratique et fait perdre le sens de l’action collective à l’échelle nationale comme européenne, qui ne peut se limiter à des raisonnements de boutiquier.
Le constat est amer, mais il n’est pas dénué d’espoir. Il est possible de redonner de la force au dialogue. Au fond, l'expérience de la Convention citoyenne était doublement innovante. Par l’effet d'oxygénation d’un tirage au sort et d’un processus long de co-construction tout d’abord. Mais aussi parce que pour la première fois depuis longtemps le cadre fixé à ce dialogue était celui de l’atteinte, dans la justice sociale, de nos objectifs climatiques. Le projet de loi n’est pas à la hauteur, mais souvenons-nous qu’il pourrait en être autrement. Les ingrédients du succès étaient là. Ils le sont toujours.
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