Le JEFTA est un traité de libre-échange négocié entre l’Union Européenne et le Japon qui a abouti à un accord fin 2017. Il a été signé le 17 juillet 2018 lors du Sommet UE-Japon à Tokyo et ne pourra entrer en vigueur qu’une fois ratifié par le parlement européen en décembre 2018. Si le JEFTA possède les mêmes caractéristiques que les autres accords de ce type, comme le CETA (traité entre l’UE et le Canada, ou le TAFTA, négocié avec les États-Unis et en suspens à ce jour, l’enjeu est encore plus important. En effet, les produits concernés et les enjeux commerciaux sont colossaux !
En jeu : un tiers du PIB mondial et 40% des échanges mondiaux, ce qui fait du JEFTA le plus important accord de commerce jamais négocié. On aurait alors pu s’attendre à ce que des leçons soient tirées des critiques faites au CETA notamment, mais cette fois encore, les intérêts financiers et économiques passent avant la préservation de l’environnement et la régulation de la mondialisation. Le JEFTA comporte beaucoup de risques pour l’environnement, le climat, la biodiversité, mais aussi pour l’avenir des agriculteurs français et de notre démocratie. La FNH tire la sonnette d’alarme, on vous dit pourquoi.
Une quasi suppression des droits de douanes et un risque d’abaissement des normes
Cet accord commercial, dit de “nouvelle génération” a pour objectif de multiplier les échanges entre ces deux grandes puissances économiques en augmentant les exportations via une réduction drastique des droits de douanes (94% des droits de douanes entre l’UE et le Japon et 99% entre le Japon et l’UE) mais aussi à unifier les différentes normes juridiques, sanitaires, sociales, environnementales, fiscales en vigueur chez les partenaires concernés. Le risque étant un nivellement par le bas des réglementations en place, afin de faciliter les échanges pour les entreprises. Moins de contraintes pour plus de profits souvent fantasmés.
En complément, Japonais et Européen continuent de négocier, de manière secrète, un accord d’investissement afin de mettre notamment en place des tribunaux d’arbitrage, comme dans le CETA.
Sur l’agriculture l’UE s’enferme dans un système ubuesque d’un point de vue environnemental
Selon la Commission européenne, le JEFTA va permettre aux européens d’exporter des produits agricoles et alimentaires phares comme le bœuf, le vin, le fromage alors que le Japon pourra exporter plus facilement ses voitures. Le problème dans tout ça c’est que cet accord répond à une vision incompréhensible d’un point de vue environnemental. En effet, au bout du compte, les agriculteurs français vont exporter leur produit “de qualité” au Japon, mais les français vont consommer des produits arrivant tout droit du Canada via le CETA, du Brésil ou du Mexique via d’autres accords en cours de négociation. Un système ubuesque à un moment où on parle de développer la consommation locale qui est une nécessité pour préserver la planète.
Des chapitres « Développement durable » qui comptent pour du beurre…
Le JEFTA ne fait pas mieux que les autres en ce qui concerne la place accordée au droit de l’environnement et aux accords internationaux signés à ce sujet comme l’Accord de Paris. Pourtant, les attentes étaient fortes, surtout après les engagements pris par le Président de la République de ne plus signer d’accord de commerce qui ne respecterait pas les engagements pris dans le cadre de l’Accord de Paris, traduit par l’annonce d’un “plan d’action CETA”. Ce plan prévoyait que pour tous les futurs accords, les chapitres développement durable seraient contraignants et que l’Accord de Paris serait inscrit dans les clauses essentielles des accords de commerce, c’est à dire dans un accord à côté ou sont généralement inscrits les droits humains, et qui permet de suspendre la totalité d’un accord si ses clauses ne sont pas respectées. Malgré cela, les chapitres sur le Développement Durable du JEFTA ne sont toujours pas contraignants : ils ne contiennent que des recommandations, sans aucune sanction de prévue en cas de manquements. Cela est loin d’être suffisant.
Quant à l’Accord de Paris, il ne figure toujours pas dans les clauses essentielles, mais il a été ajouté à ces fameux chapitres développement durable non contraignants. Par ailleurs, le Japon, est loin d’être un bon élève en matière de lutte contre le changement climatique. Dans le cadre de l’Accord de Paris, le Japon s’était engagé à baisser de 26% ses émissions de GES par rapport à 2013, un des engagements les plus faibles des pays développés, alors même que le Japon fait partie des 10 pays les plus émetteurs de GES. Enfin, depuis 2015, les émissions de gaz à effet de serre ne diminuent plus et se stabilisent.
Un soufflet à la face de la démocratie : les parlementaires français n’ont pas leur mot à dire
Ces accords de commerce sont le plus souvent négociés dans la plus grande opacité, sans consultation démocratique, ce qui empêche toute discussion pendant les négociations de l’accord (le mandat de négociation a par exemple été redu publique qu’une fois les négociations terminées !). De même, selon l’ONG CEO, seulement 4% des groupes d’intérêt général (ONG, associations de consommateurs…) ont eu accès aux fonctionnaires européens en charge de négocier ce texte contre près de 89% pour les représentants des grandes entreprises. Rien de nouveau direz-vous, mais cette fois-ci le JEFTA ne passera pas devant les parlements nationaux. En effet, le 22 mai 2017 le Conseil Européen a décidé d’en faire un accord non-mixte, c’est-à-dire un accord qui relève exclusivement des compétences de l’UE. Sa ratification se fera donc par un vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil de l’UE et un vote au parlement européen : les parlements nationaux n’auront pas leur mot à dire et les citoyens ne sont pas tenus au courant des implications de l’entrée en vigueur d’un tel accord. Le résultat de ce choix est qu’aucun débat n’a eu lieu sur le JEFTA à l’Assemblée Nationale ou au Sénat, qu’aucun rapport parlementaire n’a étudié les effets du JEFTA, qu’aucune résolution parlementaire n’a été votée pour donner un avis.
La chasse à la baleine ou la surpêche, bizarrement absents de l’Accord
Dans le même registre, comment justifier l’absence dans le JEFTA de certains sujets pourtant problématiques, et de sa frilosité dans d’autres ? Par exemple, l’accord de commerce exclut volontairement la question de la chasse à la baleine pratiquée par le Japon malgré un moratoire international en vigueur depuis 1986. Il est l’un des derniers pays au monde à encore autoriser le commerce de viande de baleine et à chasser cet animal, sous le faux-prétexte de la recherche scientifique. Malgré cette politique controversée et dénoncée à plusieurs reprises par l’Union Européenne, aucune disposition à ce sujet n’a été proposée dans le texte de l’accord de commerce. Cela aurait pourtant pu être l’occasion de négocier avec le Japon pour qu’il applique enfin le droit international.
Ce pays est également un grand pratiquant de la surpêche : le thon rouge menacé d‘extinction en sait quelque chose… L’article du JEFTA consacré à la pêche durable reste très vague. Or il est urgent de mettre en place des mesures contraignantes pour accompagner la transition de la filière halieutique, vue l’effondrement des ressources et la pression croissante qui pèse sur la biodiversité marine. Le Japon, mauvais élève en la matière, a encore beaucoup d’efforts à faire mais ce n’est visiblement pas le JEFTA qui va l’y aider.
Enfin, le JEFTA aurait dû renforcer la coopération entre le Japon et l’UE en matière de lutte contre le trafic de bois illégal. Le Japon étant à la fois le plus gros importateur de bois et le plus gros marché de bois illégal venant notamment de Russie, de Chine, de Roumanie, l’enjeu est réel. Or, le JEFTA ne comporte par exemple aucun mécanisme de contrôle du bois importé et ne fait que survoler la question. Pour lutter contre la déforestation et le trafic illégal, il est nécessaire de mettre en place une coopération internationale et une politique de gestion durable des forêts.
Il est encore possible d’améliorer le JEFTA, la FNH se mobilise au quotidien
La FNH appelle le parlement européen à refuser le JEFTA en état et la France à demander une renégociation pour en faire un accord qui accélère la transition écologique. Voici quelques pistes pour que la politique commerciale européenne devienne un levier pour la transition écologique :
- Plus de démocratie : il est indispensable d’instaurer un vrai dialogue, d’intégrer la société civile aux négociations, de garantir un débat démocratique et national.
- Affirmer la supériorité du droit de l’environnement sur le droit du commerce. Cela passe par rendre les chapitres développement durable contraignants, par valoriser l’Accord de Paris en insérant une clause de suspension de l’accord de commerce s’il n’est pas respecté (ratification de l’accord, prendre des engagements de baisse d’émission de gaz à effet serre à la hausse tous les cinq ans (NDC), tenir ses engagements de baisse d’émissions de GES, tenir ses engagements de financement climat vers les pays du sud)
- Reconnaître l’exception agriculturelle : les produits agricoles et alimentaires ne doivent pas être négociés selon les mêmes conditions que les autres produits commerciaux.
- Défendre le principe de précaution, cher au droit européen, face aux risques que lui font courir les accords de nouvelle génération et les investisseurs étrangers.
Ces mesures sont essentielles pour que les politiques commerciales de la France et de l’UE changent de cap. La mondialisation ne doit plus rimer avec aggravation du climat, des crises sanitaires, de la baisse des normes sociales et environnementales. Elle doit au contraire être repensée comme levier de la transition écologique, pour transformer nos modes de production et le modèle économique en cours.
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