Propositions

Miser sur le véhicule autonome pour rénover la politique du tout voiture : un mythe dangereux

Publié le 22 mai 2018 , mis à jour le 19 novembre 2020
Au moment où le gouvernement prépare le projet de loi sur les Mobilités, deux scénarios d’avenir se confrontent. Le plus connu, poussé par bon nombre de lobbies, consiste à miser sur la voiture, qui deviendra autonome, en donnant la priorité absolue à la route, qui elle deviendra « écologique » ; puis de ménager quelques miettes aux autres formes de mobilité, train, transports en commun ou vélo. Face à ce mythe techniciste, la FNH appelle le gouvernement à prendre au sérieux le compte à rebours climatique, les limites sur nos ressources naturelles et les attentes des citoyens. Un scénario réellement innovant donnerait la priorité aux modes de transports les moins polluants et les plus solidaires. C’est dans ces conditions que nous pourrons répondre aux défis de ce siècle.

Circulation

Tribune diffusée sur le site de la Tribune.fr le 15 mai 2018
https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/miser-sur-le-vehicule-autonome-pour-renover-la-politique-du-tout-voiture-un-mythe-dangereux-778389.html

Avec le véhicule autonome s’ouvrirait une nouvelle ère, connectée, intelligente, libérée des contraintes actuelles (horaires, permis…). Il pourrait même « glisser » sur les fleuves ou « voler », grâce aux navettes volantes... et même remplacer le train sur les lignes dites « petites », là où celui-ci aurait perdu toute sa pertinence. Le scénario du tout voiture autonome semble ingénieux, mais n’a été confronté à ce stade ni à l’expression des besoins des populations ni à son impact environnemental et à ses coûts réels ! 

Le véhicule autonome est aujourd’hui un produit, technique et commercial, mais son arrivée n’a à aucun moment fait l’objet de débat dans les territoires. Pourtant il est porteur d’une révolution des usages : il remplace la voiture dont on est propriétaire, que l’on entretient… et pourrait arriver plus vite qu’on ne l’imagine. Sera-t-il l’apanage des grandes métropoles ? Peut-il apporter des solutions en zones rurales, là où les alternatives à la voiture solo sont si difficiles à mettre en place ? A-t-on consulté les citoyens sur le sujet ? 

Le véhicule autonome est une solution « propre » entend-on… ? Son impact écologique, invisible chez nous, est pourtant indéniablement lié à la course aux métaux, destructrice pour l’environnement des pays miniers. Les ressources minérales et énergétiques (souvent d’origine fossiles), sont indispensables pour l’armada de technologies embarquées dans les véhicules, comme pour les bornes qui jalonneront les routes à intervalles réguliers, mais également les centres de gestion, les data centers, ou encore les capteurs sur les feux - ou sur chacun de nous. Le véhicule autonome déplace donc les problèmes, vers les pays en développement et le cloud, diluant dans le même temps les responsabilités des décideurs comme des acteurs économiques.

Ce système autonome et connecté est tout sauf écologique. L’est seulement la réduction du nombre de véhicules roulants. Or, l’autonomie est susceptible de générer une demande supplémentaire, et donc un trafic croissant ! Alors que la date de mise en circulation de ces véhicules fait encore débat, et que la cohabitation entre véhicules autonomes et standards n’est pas tenable, la promesse politique de kilomètres d’asphalte nouveaux est renouvelée, comme par mirage. Car même si nous possédons déjà un des réseaux routiers les plus denses en Europe, de nouveaux projets, rocades, autoroutes sont envisagés sur nos territoires, étalés sur les 20 prochaines années… captant d’ailleurs la majorité des moyens financiers. A ce sujet, quel est le coût économique réel du déploiement des véhicules autonomes pour les années et décennies à venir ?

La plus grande performance du mythe techniciste réside donc là : dans sa capacité à dépasser les contraintes budgétaires comme les limites planétaires. La future loi Mobilité, cherchant à préparer l’avenir, la tentation serait grande de retenir ce scénario et son lot de promesses. Mais il est temps que la politique des transports revienne à la réalité, qu’elle s’intéresse aux populations, premières victimes de la pollution de l’air aujourd’hui et du réchauffement climatique demain, avant d’écouter les intérêts privés. Il est temps de sortir de l’ère du tout routier et du tout automobile.

Un second scénario, non moins ambitieux, mais plus audacieux a pour objectif de prendre au sérieux les objectifs climatiques et nos engagements en termes de réduction d’émissions de gaz à effet de serre, mais également de préservation de la biodiversité et de réduction des flux de matières. Sociale, solidaire, elle vise à faire accéder le plus grand nombre à une mobilité raisonnable, en ville comme en zones moins denses ; plus réaliste, elle s’appuie sur des technologies qui sont déjà aujourd’hui faiblement émettrices. 

Ni sourde ni aveugle aux réalités et défis de notre époque, cette option reconnaît l’importance croissante des nouvelles mobilités, partagées (covoiturage), actives (vélo et marche), plus légères tout simplement au quotidien, comme les potentiels d’un rail modernisé et revalorisé. En bref, un système « multimodal », qui remet la route et les voitures, autonomes comprises, à leur juste place, c’est à dire celle d’un mode de déplacement parmi d’autres. Il ne s’agit pas ici d’exclure le véhicule autonome du champ des possibles. Mais pour dépasser la phase d’expérimentation, le déploiement du véhicule autonome doit faire l’objet d’un véritable débat démocratique national.

Ce n’est pas tout, pour garantir de ne plus être contraints de prendre la voiture pour aller travailler le matin, il est primordial de réorienter les investissements : donnons la priorité aux modes les moins polluants et les plus accessibles, les modes actifs, la marche et le vélo, le train, les transports en commun. C’est le signal indispensable pour que les investissements privés se lancent enfin, à rebours de ce qui s’annonce aujourd’hui, dans l’économie circulaire (allongement du cycle de vie, recyclage, écoconception), dans l’adaptation des véhicules à un usage partagé et des moteurs aux réductions de vitesse…

Et reconnaissons, enfin, que le champ d’innovation se situe dans un projet de mobilité sobre et multimodal, et non dans la course à l’autonomie et à la construction de nouvelles routes. 

Par Audrey Pulvar -présidente de la Fondation pour la Nature et l’Homme.
Dominique Bourg - Président du conseil scientifique de la Fondation pour la Nature et l’Homme.
Sophie Swaton - membre du conseil scientifique de la FNH.

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