En juillet 2022, Emmanuel Macron confirmait vouloir lancer la construction de nouveaux EPR, s’appuyant sur les scénarios de RTE les plus favorables à la relance du nucléaire, au motif qu’ils sont moins coûteux qu’un scénario 100 % EnR. Pourtant, dans notre étude “Comment faire les bons choix pour le mix électrique de 2050 ?”, nous démontrons que le coût ne peut être le seul argument pour décider de l’avenir du système électrique français. Une certitude toutefois : miser sur la sobriété reste une stratégie gagnant-gagnant.
Téléchargez “Comment faire les bons choix pour le mix électrique de 2050 ?”
Décembre 2022
Télécharger (format pdf - 4 Mo)La question des coûts complets[1] du mix électrique est une dimension essentielle à faire connaître aux citoyennes et citoyens français, qui seront amenés à payer durablement ce coût en tant que consommateurs et en tant que contribuables. En vue d’apporter une contribution au débat sur l’avenir énergétique français, nous avons travaillé avec deux équipes de chercheurs et leurs deux modèles respectifs (Artelys Crystal SuperGrid et EOLES_elec) pour étudier les différences de coûts pour la collectivité du système électrique décarboné d’ici 2050, selon que la France opte pour un programme de construction de 8 EPR ou vise le 100 % renouvelable. Voici les principales conclusions de l'étude.
Le coût n’est pas l’argument qui permet de faire pencher la balance
Les modélisations réalisées dans notre étude démontrent qu’il est impossible d’affirmer avec certitude que développer de nouveaux réacteurs nucléaires de type EPR2 est l’option la plus économique pour l’avenir électrique de la France.
En effet, à niveau de consommation égale, les modélisations d’Artelys calculent un surcoût du scénario EPR de 3 % et celles de EOLES_elec calculent un surcoût qui oscille entre 3,3 et 23,5% selon les hypothèses choisies (consommation forte ou maîtrisée, taux de financement unique ou différencié). D’ailleurs, plusieurs variantes étudiées par RTE et certains scénarios de l’ADEME vont dans ce même sens/aboutissent eux aussi à de faibles écarts de coût, voire une inversion du classement entre scénarios avec ou sans EPR2.
Deux variables déterminantes pourtant sous-estimées : le coût de construction EPR et le taux de financement
En décembre 2021, la Cour des Comptes a souligné que le choix du nucléaire implique d'être en mesure de lever une incertitude : celle de la “capacité à construire un nouveau parc de réacteurs dans des délais et à des coûts raisonnables”. Ainsi, tout porte à croire que le coût de 50 milliards d’euros annoncés pour la construction de 6 nouveaux réacteurs n’est qu’un plancher. L’Etat lui-même étudie des scénarios donnant une fourchette de coûts de 52 à 64 milliards d’euros. C’est pourquoi nous avons mesuré l’impact pour le coût complet du système électrique d’un surcoût de 15 % et de 30 % pour la construction des EPR. Dans les modélisations effectuées par Artelys, le surcoût atteint 5,3 %. Dans les modélisations d’EOLES_elec, le surcoût par rapport à un scénario tendant vers le 100 % renouvelable est de 6,8 % dans le scénario le plus favorable à la relance du nucléaire et s’élève à 33,4 % dans le scénario le plus défavorable.
La seconde variable essentielle est celle du taux de financement. Son importance est pointée du doigt par RTE et la Cour des Comptes et les analyses de la FNH avec le modèle EOLES_elec le montrent : si l’accès du nucléaire aux capitaux privés continue à être, comme aujourd’hui, plus coûteux que pour les énergies renouvelables (risques de surcoûts de construction, de délais rallongés, de mise à l’arrêt et de non démarrage), le désavantage économique des scénarios de relance du nucléaire se creuse. Aujourd’hui, le coût de financement du nouveau nucléaire est significativement plus élevé que celui des renouvelables (7 % vs. 4 % environ).
La décision de lancer la construction de nouveaux EPR ne peut donc pas être précipitée ni justifiée pour un motif économique. Trop d’incertitudes pèsent aujourd’hui sur les scénarios. Viser le 100 % renouvelable ou miser sur une nouvelle génération d’EPR relève avant tout d’un choix de société. Ce choix suppose d’expliciter clairement aux citoyennes et citoyens les risques et les incertitudes des deux grandes options de mix électrique français.
Miser sur la sobriété : une stratégie gagnant - gagnant qui garantit une maîtrise des coûts du système électrique à 2050
Le niveau de consommation est la troisième variable qui compte. Les modélisations FNH confirment les conclusions de l’Ademe et de RTE : lorsqu’on compare les scénarios de sobriété avec les scénarios qui tablent sur une forte consommation d’électricité, quel que soit le mix électrique choisi, avec ou sans relance du nucléaire, les scénarios de sobriété permettent de faire baisser le coût complet du système électrique en 2050 d’environ 10 milliards d’euros par an, par rapport à un scénario de plus forte consommation. Maîtriser la consommation permet aussi de :
- Dégager d’importantes marges de manœuvre : une moindre dépendance aux outils de production d’électricité actuels (pannes, indisponibilités) et futurs (des technologies pas toujours très matures comme l’EPR, éolien en mer, batteries, centrales à hydrogène), moins de pointes de consommation électrique coûteuses et polluantes, moins de risques et surcoûts en cas de pénurie d’électricité sur la plaque européenne.
- Renforcer la sécurité d’approvisionnement, de plus en plus fragilisée.
- Réduire la dépendance aux énergies fossiles et donc de faciliter la décarbonation.
Pour une loi d’accélération de la sobriété
Suite à la guerre en Ukraine et en précision de l’hiver, la sobriété est désormais portée comme une priorité politique. Pourtant, le plan annoncé par le gouvernement en octobre ne va pas assez loin : il contient majoritairement des mesures individuelles et volontaires en faisant l’impasse sur les transformations structurantes et les investissements massifs nécessaires. Alors que le gouvernement a mis sur la table une loi d’accélération des renouvelables et une loi d’accélération du nucléaire, la FNH propose une loi d’accélération de la sobriété. Cette loi viserait à transformer en profondeur le secteur énergétique mais aussi les transports, l’agriculture, les bâtiments et l’industrie.
Sources
[1] Les coûts complets incluent les moyens de production d’électricité, mais aussi les réseaux de transport et de distribution d’électricité, le stockage et les moyens pour assurer l’équilibre offre-demande.
L'article vous a été utile pour mieux comprendre cette actualité ?
Pour approfondir le sujet