En moins d’un siècle, les populations de chimpanzés ont diminué de 75%
Voilà bientôt 10 ans que Sabrina Krief a installé sa station de recherches à Sebitoli, située à l’extrémité Nord du parc national de Kibale, créé en 1993. Il s’agit d’une zone entourée par une très forte densité humaine et de nombreuses cultures, qui est traversée par une large route bitumée, dont le chantier d’élargissement vient de s’achever. C’est aussi une zone qui compte l’une des plus grandes concentrations de chimpanzés d’Afrique, en grave danger. On estime qu’en moins d’un siècle, les populations de chimpanzés ont diminué de 75%.
A Kibale, la délimitation très nette du domaine vital des grands singes et la proximité avec les populations locales entrainent des problématiques très spécifiques sur lesquelles Sabrina Krief et son équipe se mobilisent au quotidien. Alors qu’il n’était pas revenu sur place depuis plusieurs années, Nicolas Hulot a pu se rendre compte des actions et des réponses concrètes mises en place pour permettre une meilleure cohabitation entre les humains et les chimpanzés. Il s’est également intéressé aux études scientifiques réalisées par la primatologue, principalement au sujet de l’impact des pesticides sur la santé des singes et la pharmacopée de ces derniers.
Zoom sur le travail de Sabrina Krief, au carrefour des problématiques humains vs. singes
Entourée d’une équipe de 25 personnes dont les postes sont en partie financés par la FNH, Sabrina Krief développe 3 actions principales :
- la lutte anti-braconnage
- la sensibilisation des populations à l’importance et à la vulnérabilité des primates et de leur environnement.
- le suivi scientifique quotidien des chimpanzés (observation des comportements, pharmacopée, impact des pesticides sur leur santé…)
Une centaine de chimpanzés sont au cœur des études et du suivi menés par le PCGS.
Des actions pour réduire le braconnage
Nicolas Hulot a visité les cultures vivrières qui jouxtent la forêt. Bien que les êtres humains n’aient plus le droit d’entrer dans la forêt classée parc national, rien n’empêche naturellement l’animal d’en sortir, ce qui entraine des conflits avec les populations locales. La nourriture pillée ou endommagée par la faune sauvage est synonyme de pertes de revenus pour des familles dont les champs peuvent être la seule ressource économique et alimentaire. Des pièges sont donc posés pour protéger les cultures, s’en suivent de graves blessures ou amputations pour les chimpanzés.
Victimes directes, les chimpanzés sont aussi les victimes collatérales de pièges posés pour attraper des biches ou d’autres petits animaux. Certains sont aussi capturés et vendus comme animaux de compagnie ou viande de brousse. Afin de lutter contre ces différentes formes de braconnage, une équipe de trois personnes a été constituée en 2015. Leur mission consiste à sillonner la forêt pour enlever les pièges. Ils interviennent aussi comme médiateur auprès des braconniers.
Des actions de sensibilisation des populations locales
Les actions de sensibilisation sont capitales pour le programme de recherches et de conservation de Sabrina Krief. Au-delà d’alerter sur les impacts du braconnage, une équipe de trois autres assistants se rend dans les écoles, les usines de thé et les villages pour rappeler l’importance et la richesse de la biodiversité du parc. Ils animent aussi toutes les semaines des activités avec les enfants du village de Sebitoli, auxquels Nicolas Hulot a pu participer. Au programme : jeux, dessins, danses et chants pour sensibiliser les jeunes générations.
Un suivi scientifique riche d’enseignements
Les chimpanzés s’exposent très régulièrement aux pesticides utilisés par les petits agriculteurs sur leurs cultures vivrières et épandus dans les plantations de thé entourant le Nord du parc. L’étude de la proximité de ces produits chimiques et de son impact sur la faune sauvage font désormais parties intégrantes des recherches menées par Sabrina Krief. Les pesticides seraient à l’origine de la multiplication de dysplasies faciales observées chez les chimpanzés. Cette malformation au niveau du nez affecte près de 25% des chimpanzés de Sebitoli, ainsi que plusieurs babouins de la région.
Nicolas Hulot a pu être témoin de ces malformations, en rencontrant notamment Aragon, un mâle chimpanzé de la communauté suivie par Sabrina Krief. « Quand on regarde un grand singe, on s’y retrouve », a déclaré le président d’honneur de la FNH. « Si on n’arrive pas à réagir à leur destin tragique, qu’en sera-t-il des autres espèces végétales ou animales, tout aussi importantes ? La diversité, qu’elle soit naturelle ou culturelle, est la condition indispensable à la survie de l’humanité. »
L’étude de la pharmacopée des chimpanzés
Depuis de nombreuses années, Sabrina Krief et son équipe étudient les excréments de chimpanzés, une manière très efficace d’en apprendre plus sur leur pharmacopée, à savoir les plantes sauvages qu’ils utilisent volontairement pour se soigner. La primatologue a pu établir que certaines plantes, ingérées par les chimpanzés, sont efficaces contre le paludisme. Une fois identifiées, les molécules de ces plantes peuvent faire avancer la recherche médicale, « mais il faut faire vite pour les étudier, car la forêt est en danger ! » rappelle Sabrina Krief…
« Le 21ème siècle va concentrer sur les forêts tropicales comme celle-ci toutes les pressions, menaçant notamment les grands singes », a souligné Nicolas Hulot. « Nous devons nous montrer à la hauteur, notamment en termes de financements, pour accompagner les pays qui le souhaitent à ne pas emprunter la trajectoire de la déforestation, et protéger ces écosystèmes remarquables qui sont aussi, bien souvent, des lieux qui concentrent un patrimoine génétique encore inconnu mais qui pourrait bien contenir les médicaments de demain. »
- 60 000 arbres différents ont été replantés à Madagascar sur des zones dégradées par la coupe illicite de bois dans ces forêts.
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