À Paris, la piétonisation des berges sur 3 kilomètres supplémentaires alimente le débat. En cause, les difficultés pointées dans le rapport de la commission d’enquête sur le périmètre trop restreint de l’enquête publique, les reports de circulation générés, l’évaluation des impacts positifs à venir sur la qualité de l’air et les impacts sur l’activité économique. Alors, diktat de l’écologie ou excès de conservatisme ? La polémique témoigne, au-delà des partis pris politiciens, d’une difficulté concrète à engager la transition écologique. Entre piétons et automobilistes se joue un nouveau partage et de nouvelles règles.
Pour partir du bon pied dans le débat, considérons deux aspects :
- 60% des parisiens sont favorables à ce projet (sondage IFOP Journal du Dimanche, avril 2016), qui favorise une réappropriation par chacun de l’espace publique. Oui, la piétonisation des berges est un projet citoyen !
- Face à la pollution de l’air et au bruit se pose une question concrète : quelle place pour la voiture en ville ? La réponse doit être adaptée aux attentes, aux besoins, et aux enjeux de ce siècle : la protection de la santé de tous, le vivre ensemble et plus globalement la préservation de notre climat.
Regardons la transformation qui est en cours : la mobilité n’est plus une affaire de voitures individuelles, de voies rapides et de parking. Il s’agit désormais d’avoir recours à des solutions multiples, fluides, pratiques et partagées. La mobilité durable suggère des changements et face à la diversité des possibilités, un débat démocratique s’impose.
Le trafic routier est responsable de 28% des émissions de gaz à effet de serre (GES) en France, ce qui en fait un secteur d’intervention privilégié.
En Ile-de-France, 1,5 millions de personnes sont soumises à des niveaux de pollution élevés. Le trafic routier est un des premiers responsables. À Paris, plus de la moitié des rejets des oxydes d’azotes (NOx) et d’un quart des particules sont dus aux transports. Résultat : un parisien peut perdre jusqu’à 2 ans d’espérance de vie. La pollution de l’air est la troisième cause de mortalité par maladie en France après l’alcool et le tabagisme…
Face à l’urgence sanitaire, il est temps pour les villes de se « désintoxiquer ».
La piétonisation des berges pose pour autant des questions tout à fait légitimes :
La réduction des voies de circulation génère-t-elle des embouteillages supplémentaires en reportant les véhicules sur les autres axes ?
Pas vraiment. En réalité, on observe un phénomène d’« évaporation ». La suppression des axes incite les automobilistes à changer de modes de transport, c’est le « report modal ».
Que ce soit à Paris ou ailleurs, les expériences précédentes en attestent. La piétonisation progressive des voies participe à la transformation nécessaire des pratiques de mobilité et à la réduction des déplacements individuels en voiture... bref à l’optimisation des déplacements.
Les mesures de réduction de la place de la voiture en ville à Paris font-elles figures d’exception ?
La réponse est non. De manière générale, la voiture perd du terrain. Dans de nombreuses villes du monde, la dynamique est enclenchée : les piétons gagnent de nouveau de l’espace, et ce, au détriment des voitures. Les alternatives se développent et donnent le ton pour une ville durable : reconfiguration des espaces piétons, véhicules partagés, transports en commun, pistes cyclables… Paris n’est pas une exception dans ces reconfigurations urbaines : Londres, New York Bruxelles, Amsterdam, pour n’en citer que quelques unes, sont déjà dans cette démarche.
Les impacts positifs sur la qualité de l’air sont ils prévisibles ?
À l’occasion de la Journée sans voiture organisée en septembre 2015, les mesures effectuées par Airparif montraient très nettement un impact local significatif, avec une baisse de -20 à -40% des niveaux de dioxyde d’azote en moyenne par rapport à un dimanche similaire.
Il peut être difficile d’évaluer les impacts précis à court terme en raison de la complexité des mesures de qualité de l’air. Pour autant, les impacts du trafic routier sur la qualité de l’air et le climat sont connus et les conséquences sur la santé également. Le principe de précaution impose donc une action ambitieuse.
Une fois les berges piétonnisées, quels nouveaux usages pour ces espaces conquis ?
L’enjeu derrière cette piétonisation sera finalement de déterminer les nouveaux usages de ces espaces gagnés et il y a de vrais choix à faire : ballade piétonne, touristique, zone commerciales, activités économiques ?
La transformation des espaces urbains et des usages redessine la ville de demain et offre des perspectives multiples… Le débat démocratique doit être ouvert au risque de voir les oppositions se lever contre l’initiative, bienvenue, de la piétonisation des berges.
Réduire la place de la voiture oui, mais doit-on réduire notre mobilité à laquelle on tient tant ?
Non ! À la mobilité durable correspondent de multiples solutions qui viennent précisément s’adapter à nos besoins de déplacement et à en enrichir l’expérience :
- Vélo, trottinette, marche, gyropodes, segway… les mobilités actives sont facilitées parce que la majorité de nos déplacements s’effectuent sur de très courtes distances, le plus souvent sur moins de 3 kilomètres. En France, 17 millions de personnes sont des cyclistes réguliers… Et tout le monde sait faire du vélo. En 2020, avec une politique volontariste, 15% des déplacements locaux pourraient être effectués à vélo.
- Moins de déplacements inutiles. La tendance est réelle : nous réduisons nos déplacements motorisés sur les courtes distances. Par le télétravail (encore trop peu développé avec 4% du temps de travail en France seulement) et la dématérialisation des services, la vie « connectée » nous permet d’économiser des déplacements et du temps.
- Le développement des mobilités partagées : en ville, en milieu rural, sur de courtes ou de longues distances… l’absence de voiture individuelle ne doit plus être un obstacle à la mobilité. Une voiture est stationnée en moyenne 95% du temps et utilisée en moyenne 34 minutes par jour. Les possibilités de partage sont donc immenses ! La propriété n’est plus la solution, l’économie de l’usage prend le relais et elle est gagnante pour le portefeuille, la fluidité du trafic et la convivialité.
La restriction de circulation dans la capitale est elle une mesure discriminatoire vis à vis de la banlieue?
Des reports de circulation aux impacts sur le temps de transport des habitants de la banlieue, la mesure peut paraître inégalitaire. La réalité est un peu plus complexe, et pourrait jouer dans un tout autre sens :
- parce que la réduction de la circulation automobile pousse l’amélioration et au développement des transports en commun, qui sont accessibles à tous.
- parce qu’elle favorise les modes doux, qui sont aussi les plus économiques, et donc le plus accessibles.
- parce que l’initiative prise par la ville centre pourra servir d’impulsion et favoriser la transformation de la mobilité à l’échelle de la région. Ceci afin de prendre en compte la diversité des besoins des franciliens. En tout état de cause, les transformations progressives des modalités de circulations nécessiteront un débat renforcé entre les élus du Grand Paris et de la Région Ile de France.
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