Avec une enveloppe de 8 milliards d’euros, le plan automobile présenté le 26 mai par le président de la République vise à relancer très rapidement le marché au sortir de la crise, et à moyen terme, à faire de la France la première nation productrice de véhicules électriques en Europe d’ici 2025. Un objectif remarquable. Cependant, les mesures évoquées présentent de nombreuses incohérences environnementales, comme en témoigne la nouvelle prime aux voitures essences et diesel, et reste flou sur les perspectives d’emplois. De plus, ce plan n’est à aucun moment sujet à des contreparties (relocalisation des petits modèles, investissement dans les nouvelles mobilités…), et mise sur la voiture électrique sans les garde-fous essentiels qui permettent de contribuer réellement à la transition écologique : partage des véhicules, maîtrise des impacts des batteries, déploiement des énergies renouvelables… En faisant l’impasse sur toutes ces conditions, le Gouvernement se trompe de voie. Ni les emplois ni le climat ne sortiront gagnants. Décryptage.
Le grand déstockage automobile se fait au mépris de l’air et du climat
Le Gouvernement a fait le choix de soutenir l’achat de voitures, neuves et d’occasion, électriques et hybrides… mais aussi thermiques. Objectif affiché : aider les constructeurs à déstocker en finançant 200 000 acquisitions de voitures neuves, majoritairement essence et diesel. Mais, si la France veut respecter ses engagements climatiques (neutralité carbone du secteur des transports d’ici 2050) et anticiper les échéances qu’elle s’est elle-même fixée (fin de vente des véhicules essence et diesel en 2040), elle ne doit plus subventionner les produits consommant des carburants fossiles.
Cette énième prime aux voitures thermiques contredit même la hausse du bonus pour les électriques et les hybrides, censée donner un avantage prix à ces nouveaux véhicules moins polluants. De plus, ces voitures thermiques neuves, en particulier diesel, subventionnées par l’État, risquent d’être une très mauvaise affaire pour les acheteurs : elles ne pourront plus circuler, d’ici quelques années dans les villes qui auront mis en place des restrictions de circulation : 2024 pour Paris, 2025 pour Grenoble et Strasbourg…!
Emploi : pas de garanties et des opportunités manquées
En ce qui concerne l’emploi, ce nouveau plan automobile entretient le flou. Les annonces de Renault sur les suppressions de postes traduisent d’ailleurs bien les difficultés à maintenir et développer l’emploi industriel en France. Alors qu’un emploi sur 5 a disparu dans l’automobile depuis 10 ans, le plan du Gouvernement ne fixe aucun objectif social et valide ainsi indirectement la poursuite de la baisse des effectifs de l’industrie, liée à la fin des moteurs thermiques, aux délocalisations successives mais surtout à l’automatisation des sites, qui bénéficie ici de nouveaux investissements.. De plus, la filière automobile française a connu un coup d’arrêt inédit face à la crise sanitaire liée à la Covid-19 : chute brutale d’activité, effondrement des ventes de véhicules, paralysie du marché… Alors que le secteur était déjà en difficulté, les impacts de la crise sanitaire sur l’emploi pourraient être conséquents.
Ce secteur ne peut pourtant pas ignorer les défis qui sont devant lui notamment celui d’accompagner les salariés et de les former en vue de sa transition. L’État doit assumer de déployer, en contrepartie, les nouveaux métiers industriels et de la mobilité : l’électromobilité, la production de batteries et le recyclage, l’installation et la maintenance des infrastructures de recharge, les nouveaux services partagés... Il revient sans doute aux acteurs, y compris historiques, d’investir massivement dans ces nouvelles activités. Malheureusement, le plan automobile est muet sur ce sujet. Seul le véhicule autonome semble bénéficier d’un intérêt prospectif, sans pour autant apporter de réponse aux questions écologiques et sociales qui se posent aujourd’hui.
Relocaliser la production de véhicules électriques… oui, mais de quels véhicules avons-nous besoin ?
En contrepartie des 8 milliards d’euros d’aides au secteur, le plan automobile mise sur la relocalisation “de la production à haute valeur ajoutée en France”. La perspective du renforcement de l’Alliance des batteries, si Renault confirme un investissement cohérent dans ce sens, est évidemment une avancée à saluer. La production et le recyclage des batteries ouvrent des perspectives de développement d’activités et d’emplois qui doivent permettre de compenser d’importantes pertes d’activités liée à l’automatisation et à la fin du thermique.
Néanmoins, tout laisse à penser que cet engagement se traduira au moins à court terme par une accentuation de la spécialisation de la production française dans des modèles type SUV, alors que les petits modèles de véhicules, moins polluants et moins encombrants, ont été largement délocalisés. Pourquoi les SUV n’est pas le bon choix ? Lourds, peu aérodynamiques et donc plus consommateurs de carburant, leur empreinte carbone est désastreuse. Sans compter qu’ils ne couvrent qu’une part minime des besoins réels de déplacement des automobilistes, majoritairement réalisé avec 1 à 2 personnes à bord...
En l’absence de politique économique de régulation, la rentabilité à court terme est en France la seule boussole qui oriente la production industrielle automobile. Et ce nouveau plan automobile ne parvient pas à sortir de cette impasse. Pour relocaliser la production de petits véhicules, légers, bas carbone, adaptés aux besoins réels et accessibles, le rôle de l’État régulateur est pourtant indispensable. Donner un prix au carbone et aux transports, labelliser les véhicules et les batteries origine France / Europe, renforcer le malus en fonction du poids des véhicules… Les mesures en faveur de l’intégration locale de la filière et du coût environnemental des produits sont des pistes sérieuses pour rendre compétitive la production de petits véhicules. Elles ne peuvent plus être négligées.
Les conditions pour un virage vers l’électromobilité ne sont pas réunies
Le nouveau plan automobile fixe une orientation très claire sur l’électrique. Toutefois, là encore, la réponse au défi écologique est largement insuffisante. Si aujourd’hui un véhicule électrique est 2 à 3 fois moins polluant qu’un véhicule thermique, ce bénéfice devra être renforcé pour être cohérent avec les objectifs climat et en particulier celui de la décarbonation totale des transports. La conversion à l'électrique exige trois conditions, toutes trois absentes aujourd’hui de la politique gouvernementale :
- La maîtrise de l’évolution des batteries, dont la production est aujourd’hui particulièrement polluante et le recyclage insuffisant. La localisation européenne de la chaîne de valeurs est une étape indispensable, y compris pour innover en vue d’une plus grande efficacité énergétique et pour réduire les besoins de matériaux (ressources minérales, dont les terres rares). Mais au-delà, il est décisif d’optimiser l’usage de ces produits et de ne rien gaspiller. Alors que l’autonomie des batteries est aujourd’hui suffisante, la priorité doit être d’alléger les véhicules et les batteries, et d’utiliser les véhicules de manière plus intense, afin de réduire l’impact des batteries au kilomètre parcouru. Pour cela, miser sur le partage des véhicules, aujourd’hui stationnés à 95% du temps, et développer des services sont les meilleures options !
- La responsabilisation des constructeurs et des équipementiers quant à leur politique d’approvisionnement. C’est le sens du devoir de vigilance qui impose aux entreprises multinationales d’identifier et de prévenir les atteintes aux droits humains et à l’environnement résultant non seulement de leurs propres activités, mais aussi de celles de leurs filiales et de leurs sous-traitants et fournisseurs.
- Le développement conjoint des véhicules électriques et des énergies renouvelables, afin de limiter l’impact environnemental de nos déplacements (les émissions de CO2, mais également la production de déchets liés à la production d’électricité). Le pilotage des recharges sera également indispensable pour limiter les appels de puissance sur le réseau.
Pour un contrat de transition pour la filière automobile
Finalement, ce plan de soutien au secteur automobile ne répond pas à une des recommandations principales du Haut conseil pour le climat au sortir de la crise du coronavirus : en contrepartie des 8 milliards injectées par l’État, rien ne garantit une mise en conformité des stratégies des entreprises du secteur avec les objectifs de la SNBC. Cette situation est d’autant plus inquiétante qu’aucun acteur du secteur n’intègre dans ses stratégies l’objectif de décarbonation totale des transports en 2050, ni même la fin de vente en 2040 des véhicules essence et diesel. Ces objectifs pourtant présents dans la loi, sont absents du plan de relance… Certaines entreprises du secteur ont multiplié pendant la crise les provocations hasardeuses, avec notamment des demandes de report des échéances climatiques ou d’assouplissement des normes environnementales européennes et françaises. Ces égarements ont illustré le défaut de cap politique clair fixé à la filière, et en l’état, le plan proposé par le Gouvernement n’y changera rien.
C’est donc d’un plan de transformation en profondeur dont le secteur a besoin. Le temps est venu de mettre l’automobile sur les rails de la transition écologique. Dans cette perspective, la FNH appelle le gouvernement à négocier, d’ici fin 2020, avec l’ensemble des acteurs de la filière un contrat de transition, pour une réelle transformation écologique et sociale.
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