L’urgence à réorganiser notre souveraineté alimentaire est à nouveau et tristement d’actualité. Déjà les difficultés d’approvisionnement liées à la crise sanitaire du Covid avaient mis en évidence notre dépendance vis-à-vis de nombreux produits tous secteurs confondus. Aujourd’hui, la guerre est aux portes de l’Europe et bouleverse les échanges sur la scène internationale. Marc Dufumier, agronome et membre de notre Conseil scientifique nous livre son analyse de la situation.
Si le Salon de l’agriculture a pu s’ouvrir cette année, l’avenir semble lui se fermer sur un modèle agricole perfusé aux énergies fossiles et très vulnérable face à la mondialisation du marché, interrogeant une fois de plus sur notre degré de dépendance. Pour Marc Dufumier, il y a une urgente nécessité à engager une transition de notre modèle agricole pour garantir notre capacité à produire une alimentation saine et de qualité sur le long terme.
De quelle manière la flambée du prix du blé, à plus de 344 euros la tonne, impacte-t-elle la France ?
30% des volumes de blé échangés sur le marché international proviennent de la Russie, premier exportateur de blé et de l’Ukraine, aussi 4ème exportateur de maïs et souvent appelé le grenier de l’Europe. Pour la France, elle-même exportatrice, le risque de rupture d’approvisionnement est réduit. La flambée des cours pourrait même profiter aux céréaliers français, alors moins soumis à la concurrence des pays de la région de la Mer Noire, si les céréales habituellement exportées vers les pays qui en dépendent comme l’Algérie, le Maroc, l’Égypte et le Liban restent bloqués dans les ports d’Odessa et de Marioupol.
Mais si la France est autosuffisante en céréales dites de panification, elle dépend encore grandement de ses importations pour les céréales à destination de l’alimentation animale. C’est donc la filière de l’élevage, notamment celle des porcs et des volailles, très consommatrice pour son alimentation de graines, farines et tourteaux d’oléagineux qui va payer le prix fort imposé par les cours mondiaux. Ce qui signifie bien entendu une baisse drastique des marges et donc une importante perte de revenus pour les éleveurs français. À titre d’exemple, 70% des coûts de production du cochon, c’est de l’alimentation.
Le baril de Brent de la mer du Nord vient de franchir le seuil des 110 dollars, un niveau jamais atteint depuis 7 ans. Comment, dans un pays aussi nucléarisé que la France, évaluez-vous la dépendance au gaz russe ?
Si au niveau de son approvisionnement en énergie, la France est, là encore, moins dépendante : elle importe 20% de gaz quand l’Italie et l’Allemagne en importent respectivement 40% et 60%. Il reste que dans un marché de l’électricité intégré où le gaz a un rôle de prix directeur de l’énergie, le cours du marché, c’est le cours mondial. Un marché globalisé donc où la hausse des cours est déjà exacerbée par la reprise économique mondiale et l’offre limitée des grands pays producteurs.
Certes, moins évidente de prime abord, la hausse du prix du gaz impacte néanmoins fortement le secteur agricole. Notre dépendance énergétique est plus à chercher du côté de notre recours massif aux engrais azotés de synthèse, fabriqués à partir du gaz russe ou norvégien, que du carburant que nous mettons dans nos tracteurs. L’importante utilisation que fait notre agriculture des pesticides majoritairement produits en Allemagne par l’industrie pétrochimique ajoute aussi à notre dépendance.
Comment réorienter nos pratiques pour être moins dépendants de l’extérieur ?
Il faut avant tout donner aux agriculteurs les moyens d’exercer leur métier dans des conditions qui leur permettent de s’extraire d’une production de masse où accroître les rendements prévaut sur les besoins et la qualité.
Dans ce contexte tendu, déjà exacerbé par l’inflation s’achèvent mardi 1er mars, les négociations entre la grande distribution et leurs fournisseurs. Censées déterminer le prix des denrées mises en rayon pour le consommateur, ces tractations conditionnent surtout une grande partie du revenu des agriculteurs. Un jeu d’équilibriste tout autant qu’un bras de fer pour amener l’ensemble des acteurs : distributeurs, transformateurs, industriels et agriculteurs à s’entendre sans perdre de vue l’intérêt de préserver le volume des ventes et donc le pouvoir d’achat des ménages.
Compte tenu de l’augmentation du prix de l’énergie et des matières premières agricoles, et sans oublier la part de responsabilité de l’agriculture française dans ses émissions de gaz à effet de serre (19%), il apparaît de plus en plus inévitable de mettre en place des alternatives favorisant des pratiques relevant de l’agroécologie.
Selon vous, changer de modèle signifie d’adopter un ensemble de mesures pour réduire le recours aux intrants chimiques. Quelles sont donc les priorités ?
Ne plus dissocier les cultures de l’élevage permet de fertiliser les sols par voie biologique. Comment ? Cesser l’élevage intensif en mode hors sol, et au contraire remettre les animaux à l’herbe. Non seulement cela limite drastiquement le besoin d’importer des céréales et tourteaux de soja depuis le Brésil notamment (facteur majeur de déforestation) pour les nourrir mais les ruminants en pâturant jouent aussi un rôle prépondérant dans la capacité des prairies d’herbage à capter le carbone et à enrichir le sol en humus. On y associe des prairies temporaires où on cultive en alternance des céréales et des légumineuses.
Ce principe de rotation des cultures permet de se passer des engrais azotés (urée, nitrates et sulfate d’ammonium) puisque les légumineuses (fèves, pois, luzerne trèfles, fèveroles…) en captant l’azote de l’air vont le restituer au sol par voie biologique, ce qui profitera aux cultures suivantes.
Le bénéfice pour l’environnement est double : la réduction de la consommation de gaz nécessaire à la fabrication des engrais azotés de synthèse s’accompagne de la baisse des émissions de protoxyde d’azote (N20) puissant gaz à effet de serre, survenant lors de l’épandage même de ces engrais. Le protoxyde d’azote est, selon le Centre technique de référence en matière de pollution atmosphérique et de changement climatique (CITEPA) responsable pour moitié des émissions de l’agriculture française.
Transition agricole et souveraineté alimentaire : même combat ?
Réorienter les politiques agricoles et rendre possible la transition vers une agriculture biologique et paysanne nous rendra moins tributaires des sources extérieures d’engrais et d’aliments. Condition sine qua none pour sécuriser notre production alimentaire. La réduction de notre dépendance protéinique pour l’alimentation du bétail, la diversification des cultures sans recours aux engrais de synthèse grâce à l’alternance et à la rotation des cultures sont la solution pour garantir un revenu décent à nos paysans dont l’avenir (le nôtre et celui des générations à venir) dépend aussi d’une meilleure conservation des sols et du maintien d’une biodiversité dynamique.
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