Depuis des décennies, l’UE négocie tous azimuts des accords de commerce avec le Canada (CETA), le Japon (JEFTA) le Chili… 46 sont d’ores et déjà adoptés et des dizaines sur la table. Ces derniers multiplient les échanges de biens et services, et notamment de denrées agricoles entre les pays signataires, en octroyant des avantages commerciaux sans tenir compte des modes de production. L’accord avec le Mercosur, en discussion depuis 25 ans et dont le sort pourrait être scellé les 18 et 19 novembre prochains pendant le Sommet du G20 à Brasilia ou début décembre lors du sommet des Etats du Mercosur, exacerbe les tensions car il s'ajoute à la longue liste des concessions faites sur l'agriculture dans le cadre des accords de libre-échange. Pour le monde agricole, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Si le rejet de cet accord est indispensable, d’autres mesures seront aussi nécessaires pour résoudre les problèmes de fond du monde agricole.
À ce jour des échanges importants ont déjà lieu entre l'UE et les pays du Mercosur
190 000 tonnes de viande bovine ont été importées par l’UE depuis ces pays en 2021, auxquelles pourraient s’ajouter 99 000 tonnes en provenance du Mercosur à droits de douane réduits. Dans une étude conjointe, la Fondation pour la Nature et l’Homme, l’Institut Veblen et Interbev ont dressé l’état des lieux des contingents tarifaires existants et octroyés par les accords de libre-échange (CETA, Chili, etc. dont le Mercosur), pour la viande bovine. Au total, s’ils étaient complètement utilisés, ces derniers conduiraient à des importations représentant jusqu’à près de la moitié (44,5 %) des volumes d’aloyau produit dans l’UE[1].
Par ailleurs, les conclusions d’un contrôle mené en juin 2024 par la DG Santé de la Commission européenne soulignent l’incapacité des autorités brésiliennes à garantir le respect des exigences sanitaires européennes déjà en vigueur, comme l’interdiction d’importation de viande issue d’animaux traités aux hormones de croissance en place depuis 1996. Par ailleurs, les réglementations sont très différentes, en matière par exemple d’usage d’antibiotiques comme activateurs de croissance. Le respect de ces réglementations environnementales et sanitaires représente à lui seul un surcoût pouvant atteindre 8% pour la production de viande bovine européenne, d’après l’IDELE.
Il n’existe aujourd’hui pas d'obligation que les produits importés respectent des normes équivalentes à celles européennes et le peu de normes déjà imposées aux produits importés ont donc peu de chance d'être respectées.
Les revendications agricoles sont toujours sans réponse faute d'un diagnostic lucide des racines du problème
Suite aux mobilisations de janvier, de nombreux reculs environnementaux ont été entérinés, conduisant à la mise en pause de la transition agroécologique. Ces décisions n'ont évidemment pas amélioré la situation du monde agricole, qui fait toujours face à de sérieuses difficultés. En effet, en 2020, 16% des agriculteurs vivaient sous le seuil de pauvreté (avec des disparités selon les filières) selon Agreste, soulignant une crise majeure des revenus agricoles, mais aussi des inégalités entre agriculteurs et au sein des filières.
Les études de la FNH sur les filières d’élevage bovin en France l’ont précisément démontré, il existe un déséquilibre croissant dans le partage de la valeur. Sur le prix final d’une brique de lait demi-écrémé, la part reçue par un éleveur a baissé de 4% entre 2001 et 2022, alors que celles perçues par les entreprises agroalimentaires et la distribution ont respectivement augmenté de 64% et de 188%. De son côté, le secteur bovin viande est déjà au bord d’une catastrophe économique et industrielle, et l’accord commercial UE-Mercosur accélérerait cette dynamique.
Cette crise traduit également une fragilité du modèle agricole face aux aléas climatiques, géopolitiques et sanitaires.
Nos recommandations pour concilier environnement et équité
La FNH et l’Institut Veblen appellent le gouvernement français à remettre le cap sur l'environnement (plan ambition bio, Ecophyto, révision du PSN, etc.) et la Commission Européenne à mettre en cohérence sa politique commerciale avec ses ambitions environnementales, pour cesser d’hypothéquer la résilience de notre agriculture. Nous demandons de :
1/ Mettre en œuvre les mesures miroirs afin de conditionner l’accès au marché européen au respect des principales normes environnementales et sanitaires de production européennes et interdire les exportations de produits interdits dans l’UE vers les pays tiers. Ces mesures permettraient d’accélérer la transition agroécologique.
2/ Assurer aux agriculteurs des revenus dignes, avec des modes de production cohérents avec les impératifs environnementaux
3/ Accompagner la transition agroécologique des agriculteurs pour leur permettre de réduire leurs coûts de production et d’être plus résilients face au changement climatique
Sources
[1] L’aloyau - qui regroupe des morceaux de choix comme le faux-filet ou la bavette - est un morceau clé de la carcasse bovine. Il ne représente que 18% du poids de cette dernière mais près d’un tiers de sa valeur sur le marché européen.
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