Oreillette, c’est le prénom de la vache normande choisie pour représenter le Salon de l’Agriculture 2024. Oreillette est belle, gourmande en herbe et elle produit du bon Camembert de Normandie (AOP). Mais cette image bucolique n’est pas le reflet de toute la profession. Loin de là ! Aujourd’hui, seul 1 camembert sur 10 vendu en France est sous AOP. Les 9 restants sont fabriqués de façon industrielle, en très grande majorité par 3 entreprises agroalimentaires. Et la réalité, c’est que les éleveurs qui produisent le lait voient leur part sur le prix final du camembert baisser année après année : -11 % en 20 ans, tandis que les marges de l’industrie agroalimentaire et de la grande distribution augmentent (de 61 % et de 39 % respectivement).
A l’occasion du SIA, il est important de rappeler que les éleveurs sont les grands perdants de la consommation de masse des produits laitiers. Oreillette est représentative d’un élevage plus durable et plus rémunérateur mais qui est aujourd’hui en voie de marginalisation. L’industrialisation de la filière (illustrée par le marché du camembert) profite au secteur de l’aval au détriment des éleveurs.
Le modèle d’élevage durable d’Oreillette est menacé par le camembert industriel qui profite de l’aura positive AOP…
Avec 82% de vaches normandes, le système herbager dans lequel s’inscrit Oreillette est favorable à la transition agroécologique. En effet, le modèle AOP Camembert de Normandie a une part d’herbe de 74%, une alimentation sans soja OGM déforestant et offre aux éleveurs un prix du lait supérieur au conventionnel[1].
Hélas, il n’est pas représentatif du secteur laitier français et semble même menacé, puisque les pratiques agricoles en Normandie sont de plus en plus intensives. En réalité : seulement 7,8 % des vaches laitières françaises sont de race normande et 80 % du lait collecté en France est produit de manière conventionnelle (donc sans signe de qualité).
Le marché global du camembert (et la bataille qui se joue entre le camembert AOP et le camembert industriel) illustre bien les enjeux de la filière laitière :
- Aujourd’hui, 9 camemberts sur 10 vendus ne sont pas AOP. Ils sont fabriqués à partir de lait conventionnel (80 % du lait produit en France) dont les pratiques de production sont de plus en plus intensives : 10 % des vaches n’ont pas accès au pâturage, plus de la moitié des vaches sont dans des systèmes utilisant majoritairement du maïs-soja déforestant.
- Ces camemberts, issus d’un lait conventionnel et produit de manière industrielle, utilisent l’aura du camembert AOP, initialement due à une image liée au terroir normand, et désormais uniquement liée à un marketing qui a tendance à instrumentaliser ce terroir (en utilisant des références à ce terroir sur son packaging) sans en avoir toutes les caractéristiques (races normandes, critères d’herbe et processus de fabrication).
… Au détriment des éleveurs
Ce transfert de valeur symbolique se traduit par une captation de la valeur économique du camembert par l’aval. Sur le prix final d’un camembert, la FNH a ainsi calculé que la part reçue par l’éleveur a baissé de 11 % en 20 ans, alors que la marge de l’industrie agroalimentaire a augmenté de 61 % et celle de la grande distribution de 39 %.
Recommandations pour une filière laitière plus juste et durable
La FNH reste convaincue qu’il existe des modèles d’élevage - à soutenir - liant rémunération et durabilité environnementale (à condition de fixer des critères sur le terroir, l’environnement et la gouvernance). Néanmoins, sans rémunération digne des éleveurs et avec un marché oligopolistique, la transition agroécologique restera impossible et sauver l’élevage, restera un vœu pieux.
La FNH plaide donc pour une transition de la filière laitière vers plus de durabilité en réorientant les subventions publiques (qui représente en moyenne 84% des revenus des éleveurs) et au travers d’un meilleur partage de la valeur. Cela passe par la promotion de modes de production plus durables, qui répondent aux principes suivants :
• Des systèmes extensifs et herbagers, privilégiés par certaines AOP (dont le camembert AOP fait partie) et surtout par l’Agriculture Biologique. Rappelons que cette dernière garantit le non-recours à des pesticides ou engrais de synthèse avec des critères plus stricts de bien-être animal ;
• Un ancrage territorial pour avoir une traçabilité du lait, mais aussi des savoir-faire artisanaux valorisés ;
• Une gouvernance démocratique renforcée et un meilleur contrôle des prix et des volumes afin de garantir des revenus aux éleveurs.
5 recommandations clés
1. Une plus grande régulation des marchés avec :
• un prix plancher de la matière première agricole
• l’encadrement des marges
• et la transparence sur les marges nettes de chaque acteur
2. La création d’un fonds mutualisé de transition agroécologique à partir de 15% des bénéfices des entreprises de l’aval.
3. L’augmentation des enveloppes des « programmes opérationnels » pour renforcer les Organisations de Producteurs.
4. L’accompagnement de toutes les AOP dans une démarche de progrès :
• en termes de gestion des volumes
• en termes environnementaux
5. Le renforcement des budgets de communication pour les AOP exigeantes d’un point de vue environnemental et pour l’agriculture biologique.
Sources
[1] Ces éléments sont issus de la moyenne des pratiques observées pour les élevages de cette AOP, qui sont donc plus vertueuses que les critères minimaux fixés par le cahier des charges
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