Signé le 30 octobre 2016 et toujours en attente de ratification, le CETA, accord de libre-échange transatlantique entre l'Union européenne et le Canada, fait débat. Retour sur l’un des enjeux qui cristallise la controverse : les tribunaux d’arbitrages privés.
L’Allemagne est poursuivie pour avoir décidé d’abandonner le nucléaire, les États-Unis pour avoir renoncé à la construction d’un projet géant de pipeline, la Colombie pour avoir baissé le prix d’un médicament contre le cancer... Ces exemples incompréhensibles ont pourtant un cadre juridique. Certains accords de commerce et d’investissement incluent en effet un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États appelés tribunaux d’arbitrage privés. Ce système permet aux investisseurs étrangers de faire appel à une juridiction privée pour poursuivre un État qui a des politiques publiques contraires à leurs intérêts. La France a déjà signé 97 accords de commerce permettant de recourir à un tel système. Si ces accords se limitaient jusqu’à présent à des pays en voie de développement qui utilisent peu ce système, les négociations actuelles sont plus inquiétantes. L’Union Européenne a signé le 30 octobre dernier un accord avec le Canada, le CETA, qui prévoit pour la première fois l’accès aux tribunaux d’arbitrage avec un pays du G7. L’Union Européenne et le Canada proposent un système réformé de l’arbitrage avec des améliorations en terme de procédure mais sans réels changements sur le fond, comme l’a démontré la Fondation avec 34 autres organisations de la société civile. La France possède un système judiciaire indépendant de qualité, et donner la possibilité d’utiliser une justice parallèle à des investisseurs étrangers serait contraire à notre démocratie.
Quels sont les risques de ces tribunaux ?
Le recours aux tribunaux d’arbitrage est extrêmement coûteux (en moyenne 8 millions de dollars) ce qui les rend uniquement accessibles aux plus grandes multinationales. Dotés de ce pouvoir considérable, les investisseurs peuvent ainsi attaquer les États sur n’importe quelle type de politique même celles qui représentent une avancée sociale, environnementale ou économique. Cette mesure inquiète d’autant que les exemples en ce sens se multiplient. L’Allemagne pourrait payer 4,7 milliards d’euros pour avoir décidé de sortir du nucléaire, l’Italie est poursuivie pour avoir interdit l’exploitation de pétrole et du gaz offshore, l’Egypte est sanctionnée pour avoir augmenté le salaire minimum de 31 euros, la Colombie est menacée de poursuite pour avoir baissé le prix des médicaments contre le cancer... Un non sens qui fait peser de graves menaces sur la santé, l’alimentation, la démocratie du pays ou plus généralement sur l’intérêt général.
Les sommes astronomiques payées par les entreprises risquent d’influencer fortement les tribunaux à se prononcer en faveur de l’investisseur qui remporte 60% des poursuites. Les États attaqués sont condamnés à payer des milliards de dollars de dommages et intérêts pour compenser les pertes des multinationales. La capacité des États à mettre en place des politiques publiques régulant les actions des multinationales se retrouve diminuée par un phénomène de dissuasion. Pour éviter les poursuites, certains États reviennent en effet sur leurs décisions et adoucissent les normes ou délais sur des mesures décisions énergétiques, sociales ou environnementales. Alors que l’urgence climatique nécessite la mise en place de mesures fortes pour assurer la transition écologique, l’entrée en vigueur du CETA diminue nos chances d’atteindre les objectifs fixés par l’accord de Paris. Le CETA doit être renégocié pour qu’il devienne le premier accord de « juste-échange ». Les tribunaux d’arbitrage doivent donc être supprimés ou du moins être revus pour ne pas pénaliser les États qui veulent des politiques durables.
La Fondation Nicolas Hulot mobilisée
La bataille n’est pas finie. Cette mobilisation contre les tribunaux d’arbitrage privé dans le cadre du CETA doit se poursuivre parce qu’elle est à la base d’un enjeu de plus grande ampleur. D’un côté, pour encourager certains pays comme l’Afrique du Sud ou la Bolivie, conscients du risque que représentent ces tribunaux, à ne pas reculer devant la prise décisions publiques pour leur pays. D’un autre, pour empêcher la politique commerciale de l’Union Européenne de continuer à prôner la mise en place de tribunaux d’arbitrages dans des accords de commerces majeurs. Ainsi elle négocie une vingtaine d’accords similaires avec par exemple les Etats-Unis (TAFTA), le Japon (JAFTA), le MERCOSUR (qui comprend le Brésil, l’Argentine, le Paraguay, l’Uruguay, le Venezuela, le Chili, la Colombie, le Pérou, l’Equateur, la Bolivie) ou encore la Chine.
La Fondation s'est engagée depuis longtemps contre le CETA avec un véritable travail de lobbying contre les tribunaux d’arbitrages privés. Lors de la ratification en France en février 2017, sur 74 députés, 50 députés ont voté contre le CETA, 16 députés pour et 8 se sont abstenus. Une semaine plus tard, la Fondation a mobilisé 107 députés, rejoints par 42 sénateurs pour saisir le Conseil constitutionnel et demander au gouvernement français de refuser toute entrée en vigueur provisoire de l’accord. Le 1er mars, Nicolas Hulot, accompagné de l’institut Veblen et de foodwatch, a remis une porte étroite au Conseil constitutionnel pour appuyer la saisine déposée en février et montrer les incompatibilités du CETA avec la Constitution.
Nous avons un rôle à jouer pour que la politique commerciale de l’Union Européenne soit réformée, qu’elle devienne un levier de la transition écologique et que le système d’arbitrage soit repensé. Entre le libre échange aveugle et destructeur et le protectionnisme égoïste, il existe une troisième voix, celle du “juste-échange”.
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